Débat : le numérique, un péril pour l’école… Vraiment ?

Dernière mise à jour il y a 4 ans, le 30/01/2020

Genre de texte Opinion (plaidoyer, éditorial, essai, critique artistique,...)

Date de publication 21/11/2018

source laligue.be voir la source

Origine Internet / web

langue français

Auteur(s) du texte

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Dans le numéro précédent, Valéry Witsel de l’asbl Commission Justice et Paix ouvrait le débat sur l’envie galopante de l’école de passer au tout numérique. Il y décrivait avec angoisse la fièvre numérique des décisionnaires et l’aberration pédagogique qui va déshumaniser notre bonne vieille institution. Ses propos lui appartiennent. Seulement, nous, au Ligueur, comme on aime le débat, on a demandé à Christophe Butstraen, médiateur scolaire et auteur du livre Internet, mes parents, mes profs et moi, de bien vouloir réagir sur certains points.

De but en blanc, Valéry Witsel attaque son article en évoquant une « fièvre numérique » qui s’empare de l’école. Le Pacte d’excellence irait dans ce sens. Vraiment ?

Christophe Butstraen : « Si j’ai bien lu, relu et re-relu le Pacte d’Excellence, il n’évoque que le numérique d’un point de vue purement technique : présence de tableau blanc, de tablettes, de smartphones. Mais sans jamais - et c’est tout le problème - consacrer la moindre ligne à l’éducation aux médias. Ce qui n’a aucun sens. Vouloir équiper les écoles sans aiguiller les élèves, c’est comme si on offrait des voitures de courses aux gosses, sans que ces derniers aient leur permis. Est-ce qu’il est encore indispensable de mettre des Bescherelle dans les écoles ? Aujourd’hui, on trouve une définition en quatre secondes sur son smartphone. Je suis favorable au numérique s’il permet une certaine facilité. »

Autre affirmation dans l’article : une tendance lourde vise à propager tant des équipements que des pratiques éducatives numériques. Les slogans ne manquent pas pour promouvoir la « pensée numérique ». Mais qu’est-elle au juste ?

C. B. : « Je ne comprends pas ce que ça veut dire ‘une pensée numérique’, et encore moins en lien avec l’école. Qu’est-ce que l’on entend par là ? Qu’est-ce qu’on craint ? Est-ce qu’elle doit faire peur si elle offre aux élèves les outils pour devenir des citoyens informés ? Alors là, dans ce cas, je dis oui : vive la ‘pensée numérique’. Ce qui me pose souci, c’est que tout le monde crie sans arrêt que l’école est en retard. Qu’elle a raté son virage numérique. Ce qui est en partie très vrai. Mais dès qu’elle fait un pas, on crie au monstre, en affirmant qu’elle doit rester le dernier bastion déconnecté de cette société. Il n’est pas question de remplacer un modèle par un autre. C’est comme l’arrivée de la calculatrice dans les salles de classes. Elle allait rendre nos enfants inaptes au calcul mental.
Il ne faudrait pas que ça devienne comme les plateformes illégales de téléchargement de contenus, où l’on voit le phénomène arriver de loin, avec crainte. Et on est tellement tétanisé qu’au final, personne ne bouge et, dans ce cas, le numérique a gagné. Mais on ne doit pas le laisser gagner. Aux plus inquiets, je rappelle quand même que l’avenir des nouvelles technologiques scolaires est dans les mains de la Fédération Wallonie-Bruxelles, administration qui dépend des politiques. Autant dire que la propagation massive que craint Valéry Witsel n’arrivera jamais avec fracas… »

Valéry Witsel propose de prendre du recul sur cette massification du numérique auprès de la jeunesse, qui engendrerait un certain nombre de dangers : sanitaires, écologiques et sociaux. Avec le numérique, les dangers viennent de partout ?

C. B. : « Reprenons. Dangers écologiques. Oui, ils sont tout à faits réels. On pille le continent africain pour des métaux précieux, indispensables à la fabrication des outils technologiques. Le tout est constitué de matériaux non recyclables et polluants. Bon. Comme les pots de yaourt en plastique que l’on retrouve dans le fond des océans. C’est un problème lié à un état d’esprit général qui n’est bien évidemment pas propre aux nouvelles technologies.
Sur le danger social, je suis tout à fait d’accord. Je rejoins monsieur Witsel. Quand on voit une famille au resto qui ne lève pas le nez de son écran et qui ne s’adresse pas la parole ou une gamine qui s’isole dans une cour de récré, ça ne va pas. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de cadrer. Comme Florence Foresti dans son dernier spectacle qui propose de mettre les smartphones dans des sachets avec un code de désactivation et de réactivation à la fin de son spectacle. J’aime bien cette idée. Le smartphone ne peut pas tout envahir. On l’éteint au resto, dans la voiture, le soir avant d’aller se coucher. On cadre.
Sanitaire ? À quoi fait-il référence. Aux ondes ? Pour rappel, il n’existe aucune étude sérieuse à ce propos. On prédit des catastrophes, certes, mais quel est l’intérêt de faire peur aux gens sans preuves tangibles ? »

Autre danger, d’ordre pédagogique, cette fois. Valéry Witsel affirme que l’omniprésence des écrans pourrait avoir comme effet de déshumaniser les relations entre les personnes, élèves et professeurs. Une robotisation des esprits dans l’école de demain, ça vous inquiète ?

C. B. : « D’abord sur la question du danger pédagogique, vous avez parlé de Rèves où les élèves se connectent à leur guise, où le smartphone a fait son entrée en classe. Résultat, on voit des relations sociales et humaines réapparaître. Et on sent que les gamins font un meilleur usage de tous ces outils. Je vous parle de cet établissement parce que vous êtes allés voir, mais il existe d’autres initiatives avec des enseignants volontaires qui ont fait le choix de prendre la question du numérique à bras-le-corps et de s’appuyer dessus. Je pense à toutes les personnes qui s’inspirent du principe des classes inversées, dans lesquelles l’élève va chercher son propre savoir. Les premières études sont tombées et figurez-vous que dans un cours ex-caethedra, un élève retient 11 % de ce qu’on lui enseigne. Contre 75 % quand ce sont les gamins qui vont faire la recherche eux-mêmes. On peut faire côtoyer intelligemment les deux systèmes. Il faut inclure cette question des nouvelles technologies. Il est plus que temps. Interrogez les profs. Demandez-leur de ce qu’ils pensent de ce qui existe aujourd’hui sur cette question cruciale d’accompagner les enfants dans le monde de demain. La solution ne sera jamais de dresser les pour contre les contre. Les arguments de Valéry Witsel vont peut-être restreindre l’enthousiasme de certains sur ce potentiel technologique. Mais il ne faut pas se laisser étouffer. Au moins pour une raison : celle de donner du sens aux enfants. Ne les oublions pas. »

Propos recueillis par Yves-Marie Vilain-Lepage
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De but en blanc, Valéry Witsel attaque son article en évoquant une « fièvre numérique » qui s’empare de l’école. Le Pacte d’excellence irait dans ce sens. Vraiment ?

Christophe Butstraen : « Si j’ai bien lu, relu et re-relu le Pacte d’Excellence, il n’évoque que le numérique d’un point de vue purement technique : présence de tableau blanc, de tablettes, de smartphones. Mais sans jamais - et c’est tout le problème - consacrer la moindre ligne à l’éducation aux médias. Ce qui n’a aucun sens. Vouloir équiper les écoles sans aiguiller les élèves, c’est comme si on offrait des voitures de courses aux gosses, sans que ces derniers aient leur permis. Est-ce qu’il est encore indispensable de mettre des Bescherelle dans les écoles ? Aujourd’hui, on trouve une définition en quatre secondes sur son smartphone. Je suis favorable au numérique s’il permet une certaine facilité. »

Autre affirmation dans l’article : une tendance lourde vise à propager tant des équipements que des pratiques éducatives numériques. Les slogans ne manquent pas pour promouvoir la « pensée numérique ». Mais qu’est-elle au juste ?

C. B. : « Je ne comprends pas ce que ça veut dire ‘une pensée numérique’, et encore moins en lien avec l’école. Qu’est-ce que l’on entend par là ? Qu’est-ce qu’on craint ? Est-ce qu’elle doit faire peur si elle offre aux élèves les outils pour devenir des citoyens informés ? Alors là, dans ce cas, je dis oui : vive la ‘pensée numérique’. Ce qui me pose souci, c’est que tout le monde crie sans arrêt que l’école est en retard. Qu’elle a raté son virage numérique. Ce qui est en partie très vrai. Mais dès qu’elle fait un pas, on crie au monstre, en affirmant qu’elle doit rester le dernier bastion déconnecté de cette société. Il n’est pas question de remplacer un modèle par un autre. C’est comme l’arrivée de la calculatrice dans les salles de classes. Elle allait rendre nos enfants inaptes au calcul mental.
Il ne faudrait pas que ça devienne comme les plateformes illégales de téléchargement de contenus, où l’on voit le phénomène arriver de loin, avec crainte. Et on est tellement tétanisé qu’au final, personne ne bouge et, dans ce cas, le numérique a gagné. Mais on ne doit pas le laisser gagner. Aux plus inquiets, je rappelle quand même que l’avenir des nouvelles technologiques scolaires est dans les mains de la Fédération Wallonie-Bruxelles, administration qui dépend des politiques. Autant dire que la propagation massive que craint Valéry Witsel n’arrivera jamais avec fracas… »

Valéry Witsel propose de prendre du recul sur cette massification du numérique auprès de la jeunesse, qui engendrerait un certain nombre de dangers : sanitaires, écologiques et sociaux. Avec le numérique, les dangers viennent de partout ?

C. B. : « Reprenons. Dangers écologiques. Oui, ils sont tout à faits réels. On pille le continent africain pour des métaux précieux, indispensables à la fabrication des outils technologiques. Le tout est constitué de matériaux non recyclables et polluants. Bon. Comme les pots de yaourt en plastique que l’on retrouve dans le fond des océans. C’est un problème lié à un état d’esprit général qui n’est bien évidemment pas propre aux nouvelles technologies.
Sur le danger social, je suis tout à fait d’accord. Je rejoins monsieur Witsel. Quand on voit une famille au resto qui ne lève pas le nez de son écran et qui ne s’adresse pas la parole ou une gamine qui s’isole dans une cour de récré, ça ne va pas. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de cadrer. Comme Florence Foresti dans son dernier spectacle qui propose de mettre les smartphones dans des sachets avec un code de désactivation et de réactivation à la fin de son spectacle. J’aime bien cette idée. Le smartphone ne peut pas tout envahir. On l’éteint au resto, dans la voiture, le soir avant d’aller se coucher. On cadre.
Sanitaire ? À quoi fait-il référence. Aux ondes ? Pour rappel, il n’existe aucune étude sérieuse à ce propos. On prédit des catastrophes, certes, mais quel est l’intérêt de faire peur aux gens sans preuves tangibles ? »

Autre danger, d’ordre pédagogique, cette fois. Valéry Witsel affirme que l’omniprésence des écrans pourrait avoir comme effet de déshumaniser les relations entre les personnes, élèves et professeurs. Une robotisation des esprits dans l’école de demain, ça vous inquiète ?

C. B. : « D’abord sur la question du danger pédagogique, vous avez parlé de Rèves où les élèves se connectent à leur guise, où le smartphone a fait son entrée en classe. Résultat, on voit des relations sociales et humaines réapparaître. Et on sent que les gamins font un meilleur usage de tous ces outils. Je vous parle de cet établissement parce que vous êtes allés voir, mais il existe d’autres initiatives avec des enseignants volontaires qui ont fait le choix de prendre la question du numérique à bras-le-corps et de s’appuyer dessus. Je pense à toutes les personnes qui s’inspirent du principe des classes inversées, dans lesquelles l’élève va chercher son propre savoir. Les premières études sont tombées et figurez-vous que dans un cours ex-caethedra, un élève retient 11 % de ce qu’on lui enseigne. Contre 75 % quand ce sont les gamins qui vont faire la recherche eux-mêmes. On peut faire côtoyer intelligemment les deux systèmes. Il faut inclure cette question des nouvelles technologies. Il est plus que temps. Interrogez les profs. Demandez-leur de ce qu’ils pensent de ce qui existe aujourd’hui sur cette question cruciale d’accompagner les enfants dans le monde de demain. La solution ne sera jamais de dresser les pour contre les contre. Les arguments de Valéry Witsel vont peut-être restreindre l’enthousiasme de certains sur ce potentiel technologique. Mais il ne faut pas se laisser étouffer. Au moins pour une raison : celle de donner du sens aux enfants. Ne les oublions pas. »

Propos recueillis par Yves-Marie Vilain-Lepage
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