Ce que nous apprennent les crises du Covid-19 et du climat

Dernière mise à jour il y a 4 ans, le 01/04/2020

Genre de texte Opinion (plaidoyer, éditorial, essai, critique artistique,...)

Date de publication 23/03/2020

source lalibre.be voir la source

Origine Internet / web

langue français

Auteur(s) du texte

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Une opinion d'Eric Lambin, professeur à l'UCLouvain et à Stanford University. Nombreuses sont les leçons à tirer de ce que nous vivons. L’une d’elles rappelle l’importance du rôle que peuvent jouer les autorités publiques. Un rôle dont ne peuvent s’emparer ni les entreprises privées, ni la société civile.

Winston Churchill a déclaré : "Ne laissez jamais une bonne crise se produire pour rien". Que nous apprend la situation d’aujourd’hui sur la réponse aux crises majeures ? La crise climatique et celle du Covid-19 ont en commun d’être chacune une catastrophe d’ampleur mondiale et d’avoir été prévues de longue date par les scientifiques sans que des mesures politiques suffisantes aient été prises en anticipation.

Par ailleurs, elles ont toutes les deux pour origine une perturbation de systèmes naturels, qui implique le cycle du carbone dans le cas du climat et la circulation de microbes d’origine animale dans le cas du Covid-19. Ces deux crises diffèrent cependant sur deux points cruciaux. D’une part, la pandémie actuelle va se développer sur quelques mois alors que la crise climatique se produit sur plusieurs décennies et siècles.

D’autre part, en l’absence de réponse adéquate, le changement climatique aura des conséquences beaucoup plus destructrices à long terme que la crise du Covid-19. Néanmoins, contrairement à la pandémie actuelle, une transition écologique est riche en opportunités économiques. Voici quelques leçons pour l’avenir que nous enseigne la crise d’aujourd’hui.

L'IMPACT QUE NOUS RESSENTONS

La première leçon est que la crise du Covid-19 démontre que les pays sont capables de se mobiliser, d’imposer des mesures radicales et de consacrer des ressources importantes pour faire face à une crise majeure et urgente. Pourquoi une telle réaction ne se produit-elle pas pour la crise climatique ? Sans doute parce que la pandémie nous affecte ici et maintenant, alors que les pires effets de la crise climatique nous paraissent plus éloignés dans le temps et l’espace. Contrairement au Covid-19, ce sont les générations à venir qui subiront le plus durement les conséquences du changement climatique.

La difficulté à créer un sentiment d’urgence face à une crise dont on ne voit encore que les prémices des impacts les plus dangereux est préoccupante pour l’avenir. La crise du Covid-19 nous montre que les réponses les plus efficaces sont venues de certains pays d’Asie de l’Est qui avaient déjà subi de plein fouet la pandémie du SRAS en 2003. Ils avaient appris de cette expérience la nécessité de mettre en œuvre rapidement des mesures préventives avant les premiers impacts dévastateurs.

QUAND LE BIEN PUBLIC EST NÉGLIGÉ

La deuxième leçon est que les pays qui ont adopté un régime capitaliste fortement dérégulé sont les moins aptes à répondre aux crises climatiques et du Covid-19. Le "capitalisme sauvage", centré sur la création de richesse individuelle, tend à négliger le bien public. Lorsque tout va bien, ce régime génère beaucoup de prospérité au prix de grandes inégalités sociales.

Lors d’une crise qui affecte l’ensemble de la population, le capitalisme dérégulé se révèle être un piètre substitut à une réponse orchestrée par l’État et basée sur la solidarité, qui est la seule solution possible dans de telles situations. Ce n’est pas un hasard si le seul pays qui se retire de l’Accord de Paris sur le climat, les États-Unis, est aussi celui dont la capacité à faire face à la pandémie est la plus faible : absence de système de soins de santé public universel, 27,5 millions de personnes sans assurance santé, coûts très élevés des soins même pour ceux qui ont une assurance santé, nombreux travailleurs sans congé de maladie payé, infrastructure hospitalière mal préparée à gérer un afflux de patients, désinvestissement dans l’administration de gestion de la santé. À cette idéologie qui voit depuis des décennies le gouvernement comme un problème plutôt qu’une solution, s’ajoute l’incompétence du leadership américain actuel, et son mépris pour les avis d’experts.

Les Américains pauvres n’ont d’autre choix que de continuer à travailler même s’ils sont infectés, contaminant ainsi leur entourage. Ceci augmente le risque d’une mortalité élevée aux États-Unis dans les prochains mois.

LE RISQUE DES EFFETS EN CASCADE

La troisième leçon est que le vrai danger pour l’humanité vient de plusieurs crises simultanées qui, à l’origine, sont indépendantes mais se renforcent mutuellement par des effets en cascade.

La crise du Covid-19 va profondément endetter les États, ce qui les rendra peu capables de financer une politique climatique à la mesure de l’urgence. La pandémie augmente la volatilité des marchés boursiers et le risque d’une récession qui affaiblira davantage la capacité budgétaire des États à éviter une crise climatique. Les guerres commerciales initiées par le Président Trump ont perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, dont la diversité est pourtant source de résilience économique.

Les flux migratoires massifs entraînés par des conflits géopolitiques et le changement climatique deviennent des désastres humanitaires à cause des fermetures des frontières, que la crise du Covid-19 a légitimées aux yeux des dirigeants nationalistes. Une coopération mondiale pour faire face à ces crises est rendue plus difficile aujourd’hui par la perte de confiance entre les leaders des grands blocs géopolitiques. Cette détérioration du dialogue constructif entre dirigeants de la planète trouve son origine dans les politiques nationalistes de la nouvelle vague de dirigeants populistes.

Ceux-ci défendent les intérêts étroits et à court terme de leur pays, sans prendre en compte les réalités de la mondialisation qui rend les économies nationales inextricablement liées, notamment par la circulation mondiale de virus et la diffusion dans l’atmosphère planétaire des gaz à effet de serre qui ne connaissent pas de frontière. Les diktats incohérents d’un Trump figurent en bonne place dans ce tableau dangereux. Ce qui nous amène à la dernière leçon : en période de crise, le leadership fait toute la différence entre le chaos, qui signifie une sentence de mort pour les personnes les plus vulnérables, et une réponse appropriée, qui permet une sortie de crise ordonnée.

De ce point vue, il était rassurant d’écouter la Première ministre de Belgique exposer avec calme, clarté et autorité les mesures prises par notre gouvernement sur base des avis des scientifiques. Si le vote est de plus en plus vu par certains comme l’occasion d’exprimer un rejet du système, la vie de nos proches dépendra un jour de la compétence et de la sagesse des dirigeants que nous avons mis en place. La mission principale d’un gouvernement est de créer les conditions pour garantir la santé et la sécurité de la population sur le long terme.

Cette mission confère aux gouvernements leur autorité. Cela nécessite une capacité d’anticipation, de réponse rapide et de compréhension des risques systémiques. Ni les entreprises privées, ni la société civile, ni les individus ne sont aussi bien équipés que les autorités publiques pour assurer cette mission lorsque l’ensemble de la société est directement affecté.

Pour piloter l’action collective, un gouvernement compétent et éclairé qui poursuit l’intérêt commun est indispensable, que ce soit pour lutter contre la pandémie du Covid-19 ou contre le changement climatique.
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Une opinion d'Eric Lambin, professeur à l'UCLouvain et à Stanford University. Nombreuses sont les leçons à tirer de ce que nous vivons. L’une d’elles rappelle l’importance du rôle que peuvent jouer les autorités publiques. Un rôle dont ne peuvent s’emparer ni les entreprises privées, ni la société civile.

Winston Churchill a déclaré : "Ne laissez jamais une bonne crise se produire pour rien". Que nous apprend la situation d’aujourd’hui sur la réponse aux crises majeures ? La crise climatique et celle du Covid-19 ont en commun d’être chacune une catastrophe d’ampleur mondiale et d’avoir été prévues de longue date par les scientifiques sans que des mesures politiques suffisantes aient été prises en anticipation.

Par ailleurs, elles ont toutes les deux pour origine une perturbation de systèmes naturels, qui implique le cycle du carbone dans le cas du climat et la circulation de microbes d’origine animale dans le cas du Covid-19. Ces deux crises diffèrent cependant sur deux points cruciaux. D’une part, la pandémie actuelle va se développer sur quelques mois alors que la crise climatique se produit sur plusieurs décennies et siècles.

D’autre part, en l’absence de réponse adéquate, le changement climatique aura des conséquences beaucoup plus destructrices à long terme que la crise du Covid-19. Néanmoins, contrairement à la pandémie actuelle, une transition écologique est riche en opportunités économiques. Voici quelques leçons pour l’avenir que nous enseigne la crise d’aujourd’hui.

L'IMPACT QUE NOUS RESSENTONS

La première leçon est que la crise du Covid-19 démontre que les pays sont capables de se mobiliser, d’imposer des mesures radicales et de consacrer des ressources importantes pour faire face à une crise majeure et urgente. Pourquoi une telle réaction ne se produit-elle pas pour la crise climatique ? Sans doute parce que la pandémie nous affecte ici et maintenant, alors que les pires effets de la crise climatique nous paraissent plus éloignés dans le temps et l’espace. Contrairement au Covid-19, ce sont les générations à venir qui subiront le plus durement les conséquences du changement climatique.

La difficulté à créer un sentiment d’urgence face à une crise dont on ne voit encore que les prémices des impacts les plus dangereux est préoccupante pour l’avenir. La crise du Covid-19 nous montre que les réponses les plus efficaces sont venues de certains pays d’Asie de l’Est qui avaient déjà subi de plein fouet la pandémie du SRAS en 2003. Ils avaient appris de cette expérience la nécessité de mettre en œuvre rapidement des mesures préventives avant les premiers impacts dévastateurs.

QUAND LE BIEN PUBLIC EST NÉGLIGÉ

La deuxième leçon est que les pays qui ont adopté un régime capitaliste fortement dérégulé sont les moins aptes à répondre aux crises climatiques et du Covid-19. Le "capitalisme sauvage", centré sur la création de richesse individuelle, tend à négliger le bien public. Lorsque tout va bien, ce régime génère beaucoup de prospérité au prix de grandes inégalités sociales.

Lors d’une crise qui affecte l’ensemble de la population, le capitalisme dérégulé se révèle être un piètre substitut à une réponse orchestrée par l’État et basée sur la solidarité, qui est la seule solution possible dans de telles situations. Ce n’est pas un hasard si le seul pays qui se retire de l’Accord de Paris sur le climat, les États-Unis, est aussi celui dont la capacité à faire face à la pandémie est la plus faible : absence de système de soins de santé public universel, 27,5 millions de personnes sans assurance santé, coûts très élevés des soins même pour ceux qui ont une assurance santé, nombreux travailleurs sans congé de maladie payé, infrastructure hospitalière mal préparée à gérer un afflux de patients, désinvestissement dans l’administration de gestion de la santé. À cette idéologie qui voit depuis des décennies le gouvernement comme un problème plutôt qu’une solution, s’ajoute l’incompétence du leadership américain actuel, et son mépris pour les avis d’experts.

Les Américains pauvres n’ont d’autre choix que de continuer à travailler même s’ils sont infectés, contaminant ainsi leur entourage. Ceci augmente le risque d’une mortalité élevée aux États-Unis dans les prochains mois.

LE RISQUE DES EFFETS EN CASCADE

La troisième leçon est que le vrai danger pour l’humanité vient de plusieurs crises simultanées qui, à l’origine, sont indépendantes mais se renforcent mutuellement par des effets en cascade.

La crise du Covid-19 va profondément endetter les États, ce qui les rendra peu capables de financer une politique climatique à la mesure de l’urgence. La pandémie augmente la volatilité des marchés boursiers et le risque d’une récession qui affaiblira davantage la capacité budgétaire des États à éviter une crise climatique. Les guerres commerciales initiées par le Président Trump ont perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, dont la diversité est pourtant source de résilience économique.

Les flux migratoires massifs entraînés par des conflits géopolitiques et le changement climatique deviennent des désastres humanitaires à cause des fermetures des frontières, que la crise du Covid-19 a légitimées aux yeux des dirigeants nationalistes. Une coopération mondiale pour faire face à ces crises est rendue plus difficile aujourd’hui par la perte de confiance entre les leaders des grands blocs géopolitiques. Cette détérioration du dialogue constructif entre dirigeants de la planète trouve son origine dans les politiques nationalistes de la nouvelle vague de dirigeants populistes.

Ceux-ci défendent les intérêts étroits et à court terme de leur pays, sans prendre en compte les réalités de la mondialisation qui rend les économies nationales inextricablement liées, notamment par la circulation mondiale de virus et la diffusion dans l’atmosphère planétaire des gaz à effet de serre qui ne connaissent pas de frontière. Les diktats incohérents d’un Trump figurent en bonne place dans ce tableau dangereux. Ce qui nous amène à la dernière leçon : en période de crise, le leadership fait toute la différence entre le chaos, qui signifie une sentence de mort pour les personnes les plus vulnérables, et une réponse appropriée, qui permet une sortie de crise ordonnée.

De ce point vue, il était rassurant d’écouter la Première ministre de Belgique exposer avec calme, clarté et autorité les mesures prises par notre gouvernement sur base des avis des scientifiques. Si le vote est de plus en plus vu par certains comme l’occasion d’exprimer un rejet du système, la vie de nos proches dépendra un jour de la compétence et de la sagesse des dirigeants que nous avons mis en place. La mission principale d’un gouvernement est de créer les conditions pour garantir la santé et la sécurité de la population sur le long terme.

Cette mission confère aux gouvernements leur autorité. Cela nécessite une capacité d’anticipation, de réponse rapide et de compréhension des risques systémiques. Ni les entreprises privées, ni la société civile, ni les individus ne sont aussi bien équipés que les autorités publiques pour assurer cette mission lorsque l’ensemble de la société est directement affecté.

Pour piloter l’action collective, un gouvernement compétent et éclairé qui poursuit l’intérêt commun est indispensable, que ce soit pour lutter contre la pandémie du Covid-19 ou contre le changement climatique.
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