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Dossier - Réformer l'éducation

Réformer l’éducation : travailler ensemble au bien commun en développant une intelligence collective

Reforming education: Working together for the common good by developing collective intelligence
Reformar la educación: trabajar juntos para el buen común desarrollando una inteligencia colectiva
Jean-Marie De Ketele
p. 205-233

Résumés

« La notion de réforme est-elle encore pertinente aujourd’hui ? ». Ainsi s’est ouvert le colloque international organisé du 12 au 14 juin 2019 par la Revue internationale d’éducation de Sèvres. À la lumière des contributions de ce numéro, la réponse semble positive et optimiste, même si elle mérite d’être discutée et de ne pas être réduite à la seule conception top-down. Un raisonnement en trois temps est ensuite tenu : l’identification des leviers contextualisés pour réformer ; la nécessité d’installer un maillage collaboratif ; la proposition d’un scénario pour l’avenir. En premier lieu, les leviers sont essentiellement des acteurs (personnes et institutions) qui jouent ou joueront leur rôle de levier si l’on ne travaille pas sans eux, ni contre eux, ni simplement pour eux, ce qui implique de se demander à quelles conditions. Le maillage collaboratif implique de développer et valoriser des triangulations entre les acteurs au sein des différentes strates du système, à savoir : celle des « communautés locales d’apprentissage » ; celle de la « gouvernance par le milieu » ; celle de la « vision éducative » ; celle de la « vision socio-politique ». Enfin, suite à l’intelligence collective ainsi créée, le scénario actuel de la forme scolaire se transformerait progressivement pour aller non pas vers un scénario de rescolarisation mais vers un scénario des formes partenariales, où les divers lieux et espaces d’apprentissage seraient appelés à se multiplier autour d’un récit mobilisateur que l’on peut espérer au service d’un bien commun.

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Texte intégral

1Le colloque international, organisé du 12 au 14 juin 2019 par la Revue internationale d’éducation de Sèvres sur les « conditions de réussite des réformes en éducation », avait pour objectif de parvenir à mettre en évidence un certain nombre de leviers utiles pour l’action, en prenant en compte différents registres : celui de la décision politique, celui des divers acteurs de l’éducation chargés de leur mise en œuvre, ainsi que celui relevant de l’évaluation et de la recherche. Le cadrage scientifique prévoyait trois axes transversaux : celui du sens à accorder à la réforme ; celui de la chaîne des actes reliant les décisions et les actions mises en œuvre sur le terrain ; celui de la gestion et de l’exploitation des données. Sur la base des résultats de ces travaux, nous avons demandé à quelques experts de dégager les lignes de force pour penser les réformes des systèmes éducatifs à l’horizon 2030, voire au-delà. Il nous revient de tenter une articulation de l’ensemble des contributions. Nous espérons que cet essai, qui n’a rien de prescriptif, inspirera tous ceux qui sont amenés à travailler au bien commun, qu’ils soient dans, hors ou à côté de l’école.

  • 1 À l’instar de notre tâche, il s’agit pour les auteurs d’articuler les travaux de deux conférences i (...)
  • 2 Lorsque nous faisons référence à un auteur de ce numéro, nous indiquons son nom et l’année de publi (...)

2Un article récent de G. H. Eoyang et S. Menning (2019)1 nous a permis de trouver le fil conducteur de notre essai d’articulation. S’inspirant des travaux qui s’inscrivent dans le champ de la théorie et de la pratique des « dynamiques des systèmes humains (Human Systems Dynamics, HSD) », les auteurs constatent que les systèmes d’éducation ou de formation sont confrontés à des wicked problems (des problèmes pernicieux), qualifiés ainsi car ils ne peuvent être traités par des stratégies traditionnelles. Contrairement aux problèmes traditionnels, disent ces auteurs, (i) ils sont définis différemment selon les multiples perspectives que l’on peut prendre (voir aussi Pons, 2022), (ii) ils apparaissent différemment dans chaque contexte (ce que de nombreuses contributions de ce numéro mettent en évidence), (iii) ils ne peuvent être complètement résolus (il n’est donc pas étonnant de constater avec Charbonnier (2020) que, depuis 2000, l’OCDE a pu recenser plus de 500 réformes des systèmes éducatifs). Toujours selon Eoyang et Menning, l’approche des wicked problems suppose une action adaptative cyclique, itérative et simple (« simple, iterative cycle called Adaptative Action »). Une première composante du cycle est d’examiner, avec les acteurs, les différentes façons de voir les paramètres essentiels d’un wicked problem. Puisqu’il ne peut être résolu mais qu’il peut être influencé, une deuxième composante consiste, avec les acteurs, à imaginer une large étendue d’options, mais avec un retour constant à plus de réalisme, en examinant les opportunités et les contraintes des contextes (jamais deux contextes tout à fait semblables, malgré des éléments communs de profil). La troisième composante consiste, pour les acteurs, à entamer une action raisonnable, à un moment précis et dans une situation déterminée et à en observer les effets ; cette action est appelée « next wise action », puisqu’elle fait suite à une action antérieure et sera suivie d’une action ultérieure dans un nouveau cycle adaptatif ; ceci n’est pas sans faire penser à « la révolution des conséquences » dont parle Pons (2020).

3Ce travail inspire les étapes du raisonnement que nous allons suivre. Après avoir proposé trois réflexions préalables, nous dégagerons, suite aux nombreux cas analysés et aux regards multiples posés lors du colloque et dans ce numéro, les leviers qui ont été utilisés pour faire face à ces wicked problems. Nous pourrons ensuite tenter de dégager un scénario ouvert de nature processuelle, c’est-à-dire un processus permettant d’explorer et d’aider l’avenir à se construire pas à pas, par des actions contextualisées dans l’espace et le temps. Le développement d’une intelligence collective au service du bien commun (Novoa, 2000) est l’essence même de ce scénario processuel, ouvert, adaptatif et adapté aux opportunités et contraintes des contextes, auquel nous tenterons de donner un nom.

Trois considérations préalables

Le concept de réforme

4Comme le souligne Novoa (2020) dans sa contribution, la conception classique de la notion de réforme définit celle-ci comme une décision politique intentionnelle plus ou moins planifiée, prise par une autorité formelle, et destinée à produire durablement un changement sur la totalité ou une dimension importante du processus éducatif en fonction d’une certaine conception de l’avenir. C’est le cas, par exemple, quand les autorités politiques décident d’instaurer la gratuité de l’enseignement fondamental, ou quand le ministère ivoirien décide de créer des collèges de proximité pour permettre un meilleur accès (Idrissa, 2019), ou encore quand le gouvernement sénégalais donne aux autorités régionales et locales le pouvoir de décision dans l’utilisation des ressources allouées (Diagne, 2019).

5Plus fréquemment évoquée dans la littérature anglo-saxonne, plus sensible au processus d’action publique qu’à l’aspect programmatique de la politique publique, une seconde conception coexiste, dans laquelle tout dispositif mis en place au sein du système éducatif pour résoudre un problème donné peut être considéré comme une réforme. De nombreuses études de cas présentées lors du colloque relèvent de cette conception. Parmi les exemples, citons le dispositif d’alphabétisation adapté aux enfants inuits au Canada (Tramonte, 2019), ou celui mis en place en Catalogne pour faire face à l’arrivée massive des migrants (Bonal, 2019), ou encore les camps d’apprentissage en Inde en faveur des enfants de zones défavorisées (Lakhsman, 2019). Cette seconde acception tient au fait que les contextes au sein d’un système éducatif sont extrêmement variés et nécessitent des interventions adaptées, souvent initiées par des acteurs locaux avant d’être reconnues par les autorités centrales. Ceci amène Antonio Novoa (2020) à affirmer que « ce ne sont pas les réformes qui modifient l’école, mais l’école qui modifie les réformes ».

Une certitude

6« Il n’y aurait donc pas une meilleure façon de concevoir, de mettre en œuvre, éventuellement d’évaluer les réformes », comme le démontre Xavier Pons (2020), et comme l’indiquent les quelques exemples précités.

7Ceci tient à l’importance jouée par les contextes culturels. Dans le colloque international de 2014 sur « l’éducation en Asie » (voir le n° 68 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres : RIES), il avait déjà été démontré que la culture confucéenne, caractérisée par l’effort, l’excellence et le statut social prestigieux accordé à l’enseignant, jouait un rôle primordial dans les réformes entreprises dans certains pays asiatiques. Lors du présent colloque, les études de cas ont bien mis en évidence le fait que les pays anglo-saxons privilégient des approches plus pragmatiques, accordant beaucoup plus d’importance à l’autonomie des acteurs et à la gestion communautaire participative, alors que les cultures latines adoptent plus souvent des approches plus hiérarchiques de type top down, et cela malgré les tentatives de décentralisation.

8Dans sa contribution, Mamadou Ndoye (2020) montre que les pays se trouvent à des étapes de développement différentes et nécessitent des réformes qui en tiennent compte. Certains pays sont encore en phase de généralisation de l’éducation ; dans ce cas, les réformes portent alors avant tout sur les intrants du système pour améliorer l’accès. D’autres ont dépassé ce stade et sont en mesure de viser la qualité des apprentissages ; les réformes mettent en conséquence l’accent sur les processus et les procédures d’enseignement et d’apprentissage. Enfin, d’autres peuvent penser à promouvoir un nouveau projet social ; les réformes cherchent alors une transformation profonde de l’école face aux mutations de la société.

Pessimisme ou optimisme

9Certaines interventions n’ont pas été exemptes de propos pessimistes : « plus ça change, plus rien ne change » ; « les enseignants sont fatigués des changements : les réformes se succèdent sans avoir eu les résultats escomptés ; les alternances politiques se multiplient et effacent les actions antérieures » ; « la bureaucratie est inerte et empêche toute réforme » ; « l’école n’est pas changeable ». Lors du colloque, des études de cas ont montré que rien n’est transférable, sans changer les conditions du contexte. Des propos prospectifs, comme ceux tenus par Antonio Novoa (2020), annoncent même « la mort de l’école », suite aux avancées des sciences neuro-, bio-, info-cognitives ; « l’éducation deviendrait une branche de la médecine ». Mark Bray (2020), qui avait déjà annoncé, lors du colloque international précédent (RIES n° 68), la montée en puissance de la shadow education voit sa prédiction renforcée :

En Chine déjà, les jeunes ne font plus que l’école de base pour les fondamentaux ; puis ils s’inscrivent dans des firmes de l’éducation de l’ombre qui, selon eux, les préparent mieux à la compétition dans le supérieur et plus tard dans un monde globalisé. (Bray, 2015)

10Face à de tels propos, nous pensons cependant qu’il est nécessaire de faire preuve d’optimisme et que des arguments existent pour soutenir cette attitude. Lors du colloque, il a été montré que tout dispositif de résolution de problème – y compris l’absence de réforme – produit toujours des effets à plus ou moins long terme. Ces effets peuvent être positifs pour certains types d’acteurs, comme c’est le cas des enseignants toujours en quête d’innovation qui voient leur motivation renforcée ; ou des professionnels de l’éducation, pour lesquels le processus de conception de la réforme est une occasion importante de développement professionnel ; ou pour le système lui-même, qui bénéficie des initiatives locales ayant pris à bras le corps des problèmes non résolus afin d’y apporter des solutions. Les effets peuvent être aussi non souhaités, comme l’arrêt des pratiques prescrites par la réforme lors du retrait des financements nationaux ou internationaux (Chevaillier et Tenne, 2020) ; ou encore le contournement ou détournement de l’esprit de la réforme.

11Une attitude optimiste se révèle cependant possible et nécessaire, dans la mesure où l’on capitalise les effets positifs et où l’on tient compte des effets non souhaités pour relancer les efforts de changement en tablant sur les acquis des réformes antérieures. À plusieurs reprises lors du colloque, il a été fait allusion aux « évolutions à bas bruit » qui se font malgré les alternances politiques, même si « le temps politique et le temps de la réforme ne sont pas les mêmes », parce que « la permanence est ce qui se produit au niveau local ». Parce que, aussi, « un ensemble de micro-réformes mises en œuvre au niveau local peut finalement constituer une macro-réforme, si l’État central les reconnaît et finalement les soutient, les rend visibles et les rend possibles ». Parce que « il y a toujours en haut des leaderships forts et en bas des engagements forts au niveau local », pour les articuler en vue de « travailler à un bien commun ».

Des leviers pour mieux réussir les réformes

12Notre synthèse se veut donc optimiste et lucide à la fois, car la réforme s’inscrit dans le long terme, est un processus complexe faisant face à des contextes variés et aux multiples cultures professionnelles de différentes catégories d’acteurs, génère inévitablement des effets non attendus (parfois heureux, parfois non souhaitables). Nous serions naïf de penser que toute réforme réussie implique nécessairement un certain nombre de facteurs puisés dans les méta-analyses et articulés dans un modèle unique qu’il suffirait de contextualiser. Notre propos est plutôt de relever les leviers qui ont été utilisés dans les différentes études de cas présentées et discutées lors du colloque ou dans ce numéro pour produire du changement, mais aussi les conditions mises ou à mettre en œuvre pour obtenir des effets positifs et éviter autant que possible des effets non souhaitables. Les leviers sont multiples et les conditions tout autant, car, pour reprendre un proverbe indien, « quand un ouvrier n’a pour seul outil qu’un marteau, il finit par considérer que tous ses problèmes sont des clous ».

Travailler avec les élèves

13Non pas travailler sans les élèves, ni contre eux, ni simplement pour eux. Mais travailler avec les élèves.

14Il est curieux de constater que c’est l’acteur élève qui apparaît le plus rarement dans de nombreux discours et études de cas, si ce n’est pour dire ce qui est attendu d’eux. « L’école traditionnelle conditionne l’enfant à satisfaire l’adulte », dit Céline Alvarez (2016). Si les élèves ont une puissance d’inertie considérable lorsqu’ils sont placés en situation de subir, ils peuvent développer une énergie considérable quand ils sont mis en position de pouvoir développer leur potentiel. « Kids can » était la leçon de l’étude de cas néo-zélandaise lors du colloque (Annan, 2019). La liberté laissée aux lycéens sud-coréens d’organiser eux-mêmes entièrement le curriculum de tout un semestre a balayé toutes les craintes des responsables, des enseignants et des parents, tant ils ont été rigoureux et pertinents dans la conception et la réalisation de leur curriculum, tant ce semestre libre n’a pas nui et, au contraire, a même amélioré la réussite finale au lycée (Bardi et Véran, 2020). Dans son projet d’accompagnement de certains pays en développement, Mabiala (2020) montre l’impact qu’a eu, à l’initiative de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’implication des jeunes dans leur projet d’accompagnement des politiques publiques, notamment l’éducation. Certains d’entre nous ont eu l’expérience de réunions nationales ou internationales (malheureusement encore trop rares) où des jeunes sont invités non pas comme spectateurs mais comme acteurs au même titre que les autres ; les débats sont considérablement enrichis, car les jeunes ont une expertise spécifique irremplaçable. Ils ont par ailleurs une énergie suffisamment forte pour déverrouiller les attentismes (comme le montrent les mouvements actuels des jeunes pour le climat et l’environnement).

15Travailler avec les élèves, donc, mais à condition que ce soit avec une posture d’accompagnement pertinente. Accompagner n’est ni être devant ni être derrière ; c’est être à côté, métaphoriquement partager le pain (cum panis) et cheminer avec l’autre.

16Travailler avec les élèves au niveau local suppose, comme condition, que les enseignants soient « à côté » (et non « devant »), pour leur permettre de développer de réelles initiatives. Ceci rejoint la philosophie de John Dewey (2011), selon laquelle l’enseignant doit identifier chez chaque élève sa « capacité distinctive » (ce qui le distingue des autres) et permettre à celui-ci non seulement de la développer le plus possible, mais aussi de la mettre au service du groupe ; c’est le fondement de l’apprentissage de la « démocratie » à l’école (une micro-société) et dans la société de demain.

17Travailler avec les élèves au niveau de l’école suppose l’accompagnement du chef d’établissement, qui adopte une posture de soutien (et non d’obstacle) et de reconnaissance pour les efforts et le travail fourni.

18Travailler avec les élèves implique parfois plus largement le système, comme ce fut le cas dans l’exemple coréen déjà cité. À la vue des effets évalués, on peut estimer que la posture adoptée par les autorités éducatives a été adéquate.

19Travailler avec les élèves est parfois initié au départ dans le cadre d’un partenariat entre une association et les autorités éducatives. Un bel exemple est fourni au Maroc où la direction de l’éducation non formelle du ministère de l’éducation et l’Unicef ont impliqué les élèves du primaire pour identifier dans leur environnement proche les enfants non scolarisés et mener une enquête auprès d’eux, afin de définir une stratégie de réinsertion (Oujour, 2019).

20Travailler avec les élèves crée des conditions de changement, non seulement de nouvelles façons d’apprendre, mais aussi de concevoir et décider.

Travailler avec les enseignants

21Non pas travailler sans les enseignants, ni contre eux, ni simplement pour eux. Mais travailler avec les enseignants.

22Les enseignants ont souvent l’impression que les réformes et les décisions sont prises sans eux par un cercle de responsables et d’experts, alors qu’ils revendiquent à juste titre leur expertise spécifique, celle acquise par l’expérience de leur terrain. Parfois même, lorsque leur statut social se dégrade, ils estiment que les décisions prises travaillent contre eux. Travailler sans ou contre les enseignants condamne les réformes à l’échec, car les enseignants adoptent alors des stratégies de détournement ou de récupération.

23Travailler avec les enseignants mais à condition d’adopter une posture d’accompagnement, d’« ami critique » et de « tiers médiateur ». Les enseignants sont habitués à travailler dans des relations binaires : enseignant / élèves ; enseignant / parents ; enseignant / chef d’établissement enseignant / encadreur. Les relations binaires sont souvent source de tension et de blocage. Pour les éviter, il est important d’introduire des relations triangulaires, où les acteurs peuvent tour à tour jouer le rôle de tiers médiateur et d’ami critique. Ami, parce que l’ami est avec l’autre, ne cherche pas à lui nuire mais veut au contraire le mieux pour lui. Et critique, parce que l’ami, sans juger, veut comprendre le pourquoi de l’action de l’autre et mieux l’aider. Selon les objets, le chef d’établissement, les encadreurs, les formateurs ou les associations peuvent jouer le rôle de médiateur et d’ami critique.

Travailler avec les parents

24Non pas travailler sans les parents, ni contre eux, ni simplement pour eux. Mais travailler avec les parents.

  • 3 Les méta-analyses (voir Hattie, 2009) montrent l’impact important des attentes des parents sur les (...)
  • 4 Voir la vidéo en ligne sur le site de France Éducation International : https://bit.ly/31HTK5r

25Comme le soulignent Bray (2020) et Lessard (2020), les parents ont des attentes très fortes pour leurs enfants3, sans nécessairement avoir les ressources pour les satisfaire. Ainsi, Marie-Odile Bonkoungou, ancienne ministre de l’enseignement de base et de l’alphabétisation du Burkina Faso4 a montré lors du colloque que les responsables de l’éducation ont fondé leur loi d’orientation sur un consensus des parents et de la société civile. Il en a été de même en Côte d’Ivoire, dans le projet de création des collèges de proximité pour permettre un meilleur accès à l’éducation, notamment des filles (Kouyaté, 2019).

26Il faut donc travailler avec les parents mais à condition de montrer suffisamment rapidement des signes de concrétisation et de mise en œuvre, comme ce fut le cas dans les deux études de cas précédentes mais aussi en France, où l’objectif de 80 % de réussite au baccalauréat et, plus récemment, le dédoublement des classes dans les premières années d’apprentissage (Blanquer, 2020), avaient l’adhésion des parents et se sont concrétisés rapidement.

Travailler avec les chefs d’établissement

27Non pas travailler sans les chefs d’établissement, ni contre eux, ni simplement pour eux. Mais travailler avec les chefs d’établissement.

28Les études (Dumay & Dupriez, 2009 ; Robinson, 2007) montrent que les établissements constituent une unité d’analyse essentielle pour étudier les changements dans les systèmes éducatifs et que le leadership du chef d’établissement joue un rôle central. Face aux mêmes prescrits, à des contraintes et des ressources semblables, deux établissements peuvent obtenir des performances très différentes non seulement en termes de résultats (dans des évaluations locales, nationales ou internationales), mais aussi en termes de bien-être des enfants et de développement professionnel des enseignants et, plus largement, des personnels (Blanquer, 2020 ; Foin et Gauthier, 2020). C’est le cas lorsque, à l’intérieur de son établissement, le directeur et son équipe parviennent à jouer un rôle de médiateur entre élèves et enseignant, entre enseignant et parents, entre élève et parents et, dans certains cas, entre l’enseignant et ses pairs. C’est encore le cas lorsque le chef d’établissement parvient à créer un environnement qui rend possible un travail collaboratif entre les enseignants, un des facteurs clés de leur développement professionnel (Gibert, 2018 ; Bryk, 2017 ; Prenger et al., 2017 ; OCDE, 2013).

29Il s’agit de travailler avec les chefs d’établissement mais à condition aussi que ceux-ci établissent des relations de partenariat avec des acteurs externes pour améliorer les pratiques professionnelles au sein de l’établissement ou faire face à des difficultés qu’ils peuvent plus facilement affronter en s’alliant, comme le montre le numéro thématique coordonné par Gilles et Tièche (2013).

Travailler avec les communautés locales

30Non pas travailler sans les communautés locales, ni contre elles, ni simplement pour elles. Mais travailler avec elles.

31De nombreuses études de cas lors du colloque ont montré les effets positifs des partenariats avec les communautés locales pour améliorer les résultats de l’établissement. C’est ainsi que sont mis en place au Sénégal des comités de gestion de l’école, où des responsables de la communauté locale jouent un rôle de médiation entre les enseignants et les chefs d’établissement pour gérer en autonomie un budget de fonctionnement, en référence à un contrat de performances établi avec l’aide de l’inspection (Diagne, 2019). La communauté locale joue aussi un très grand rôle pour aider les établissements scolaires à faire face à la montée en puissance de certains problèmes spécifiques. C’est ainsi le cas du projet d’alphabétisation des Inuits au Canada, ou encore le cas de la Catalogne qui avec la communauté régionale a créé un réseau d’écoles pour faire face aux problèmes générés par une très forte augmentation de migrants (Bautier et Marchand, 2020).

32Travailler avec les communautés locales mais à condition que s’installe une véritable gouvernance entre les différents acteurs (Bardi et Véran, 2020 ; Hargreaves, 2020), en ce sens que la prise de décision ne relève pas d’une seule entité, mais plutôt d’un système d’entités décisionnelles qui mettent ensemble leurs ressources spécifiques en faveur d’un projet et d’un bien commun. Si une telle pratique est plus fréquente dans le monde anglo-saxon, on la trouve cependant aussi dans des systèmes très centralisés et hiérarchisés, comme dans certaines collectivités territoriales en France, par exemple.

Travailler avec les institutions de formation

33Non pas travailler sans les institutions de formation, ni contre elles, ni simplement pour elles. Mais travailler avec elles.

34Les institutions de formation sont trop souvent « solitaires », ignorant même souvent les réformes en gestation, formant les futurs enseignants en référence aux prescrits de réformes antérieures. Très souvent aussi, elles forment des îlots coupés de la terre ferme où œuvrent les enseignants qu’elles ont formés. Lors des quelques visites de stage, les tuteurs académiques se placent et sont placés en position de « sachants » en face de maîtres de stage qui se placent et sont placés en termes d’« agissants » dans un contexte de contraintes. Pourtant, tous les discours ne cessent d’insister sur la nécessité de la formation (Charbonnier, 2020 ; Blanquer, 2020). Pourquoi un tel écart entre de si hautes attentes et une réalité souvent décevante ? Quelles conditions mettre en place pour y remédier ?

35Travailler avec les institutions de formation mais à condition qu’elles soient « solidaires » et non plus « solitaires » dans le maillage du système éducatif est essentiel. Comme le souligne Ndoye (2020), elles ont besoin de passer d’un paradigme trop exclusivement transmissif et disciplinaire à un paradigme axé sur le développement professionnel, privilégiant un paradigme de « professionnalité collaborative » (Hargreaves, 2020) et de « professionnalité émergente » (Jorro et De Ketele, 2011), où la collaboration avec les acteurs de terrain et la confrontation avec les environnements divers sont des opportunités de développement à saisir. Dans ce cas, formation initiale et formation continue sont étroitement liées. L’accent est mis sur tout ce qui peut contribuer à des avancées chez les formateurs et les acteurs de terrain : non seulement la connaissance des résultats des recherches (dont les méta-analyses), mais aussi la participation à des expérimentations (Blanquer, 2020) ou à des recherches sur la manière dont se transfèrent ces résultats en contexte (Gomez, Bryk et Bohannon, 2020) ; l’utilisation des modèles théoriques comme grille d’analyse de la pratique ; le recours à des études de cas ; des ateliers interdisciplinaires d’intégration en amont des stages ; des ateliers de réflexion en aval des stages. Dans ce paradigme, la formation continue joue un rôle déterminant, dans la mesure où elle ne consiste pas simplement en une transmission de connaissances ou de bonnes pratiques, mais où elle est un véritable accompagnement sur le terrain, profitable aussi bien aux formateurs eux-mêmes qu’aux enseignants (De Ketele, 2018).

Travailler avec les chercheurs

36Non pas travailler sans les chercheurs, ni contre eux, ni simplement pour eux. Mais travailler avec eux.

37Ici encore règne trop souvent l’impression que les chercheurs (du moins un certain nombre d’entre eux) s’isolent dans leur tour d’ivoire, produisent des connaissances désincarnées, sont lancés dans une course effrénée au publish or perish, se désintéressent du travail concret des acteurs de terrain œuvrant dans des contextes très divers et aux contraintes multiples. En un mot, ils privilégient les recherches sur l’éducation, qui rapportent une notoriété plus grande car elles sont plus facilement publiables dans les grandes revues internationales, aux recherches pour l’éducation, qui étudient en partenariat avec les acteurs de terrain les facteurs et les processus qui améliorent les pratiques (Gomez, Bryk et Bohannon, 2020).

38Il est nécessaire de travailler avec les chercheurs mais à condition d’éviter les positions sectaires et de promouvoir des triangulations entre le monde de la recherche et d’autres mondes.

  • 5 De telles questions sont soulevées dans un article important de Bestia G. (2010).

39Éviter les positions sectaires signifie que l’amélioration des systèmes éducatifs a besoin autant des recherches sur l’éducation (Meuret, 2020) que des recherches pour l’éducation (Gomez, Bryk et Bohannon, 2020) et, ajouterions-nous avec Foin et Gauthier (2020), des recherches sur le sens de l’éducation (quelles valeurs sont véhiculées derrière l’efficacité ainsi mesurée ? quelles sont les valeurs absentes ou négligées derrière tel dispositif ?)5. Des études de cas présentées et discutées lors du colloque illustrent bien cette condition. Ainsi, le projet panaméricain Summa a pris la peine de récolter, au niveau de la recherche mondiale, les pratiques qui permettent d’améliorer les pratiques au sein des établissements scolaires, et qui ont fait un travail d’inscription au niveau local, dans des contextes divers, de 33 pratiques jugées efficaces, ou encore ont créé des réseaux d’établissement (González, 2019). La recherche est importante aussi dans le projet indien « Teaching at the Right Level », qui a mis en place des camps d’alphabétisation dans les zones défavorisées (Lakhsman, 2019). C’est encore le cas des expérimentations mises en place en France sur les premiers apprentissages de la lecture, où chercheurs et enseignants travaillent ensemble sur le transfert en contexte de résultats de recherches menées en psychologie cognitive et en neuropsychologie (Blanquer, 2020).

40Des solidarités et des complémentarités permettent à la recherche de sortir de son isolement. Elles seront d’autant plus pertinentes et efficientes qu’elles seront triangulaires plutôt que bipolaires. Nous pensons à des relations et collaborations triangulaires, telles : chercheurs /interfaces (inspecteurs ou conseillers ou détachés, etc.) /acteurs au sein des établissements ; ou, à un autre niveau, chercheurs /opérateurs ou institutions ministérielles /organisations internationales (exemple : la mise à disposition des bases de données des uns et des autres et un travail de traitement concerté sur des questions jugées prioritaires).

Travailler avec les institutions internationales

41Non pas travailler sans les institutions internationales, ni contre elles, ni simplement pour elles. Mais travailler avec elles.

  • 6 La langue française considère la mondialisation et la globalisation comme deux concepts distincts à (...)

42Suite à la mondialisation, les organisations internationales ont pris de plus en plus d’importance, non seulement sur les plans économique et politique, mais aussi sur les plans culturel et éducatif… au point de se voir souvent accusées d’être des instruments de la globalisation6, c’est-à-dire de vouloir imposer un système unique et valable pour tous, créant ainsi des fossés de plus en plus grands entre régions du monde, entre pays et même, à l’intérieur des pays, entre des territoires et des catégories de population (voir aussi l’analyse de Marchand et Bautier (2020) sur les tensions entre qualité et équité). Les organisations internationales sont cependant essentielles car les problèmes sociétaux sont devenus tellement complexes et interdépendants qu’ils ne peuvent être résolus pleinement par les seuls acteurs locaux.

43Dans le domaine de l’éducation, des organisations multilatérales, comme l’Unesco et l’Unicef, ont une influence au niveau mondial dans la définition des politiques éducatives et certaines d’entre elles, comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, tiennent les pays en voie de développement dans leurs filets suite à leur politique de financement. Se restreignant à une trentaine de pays développés (totalisant environ 80 % du PIB mondial), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a pour finalités affichées de relever les défis économiques, sociaux et de gouvernance que pose une économie chaque jour plus mondiale ; elle considère donc l’éducation et la formation comme un levier essentiel du développement économique, comme le montre son investissement dans PISA, à savoir l’ensemble des études de l’OCDE qui visent à mesurer et expliquer les performances des pays membres. Au niveau des grandes régions du monde se sont constitués des organismes visant à développer une gouvernance pour assurer un meilleur développement de leurs pays et faire face à la compétition générée par la mondialisation ; c’est ainsi le cas, parmi les plus connues, de l’Union européenne, de l’Alena (Amérique du Nord), du Mercosur (Amérique du Sud), de l’Asean (Asie du Sud-Est) ; c’est encore le cas d’organismes transnationaux comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et la Conférence des ministres de l’éducation ayant le français en partage (Confemen). Dès que l’on cherche à dénouer l’écheveau complexe des interactions entre la dimension éducative et les autres dimensions (économiques, sociales, culturelles), on ne peut travailler sans ces institutions internationales, car elles disposent des sources de données comparatives les plus importantes et les plus fiables (Pisa, Timms, Talis, Pasec, Saqmec, etc.), qui leur donnent un pouvoir d’influence important en termes de gouvernance, à quoi s’ajoute le plus souvent un pouvoir opérationnel, grâce aux financements dont elles disposent.

44Travailler avec les instances internationales, donc, mais à condition de garder son autonomie de pensée et d’action. Si les organisations internationales ont en effet une réelle expertise en termes de vue générale, les instances nationales et locales ont une expertise irremplaçable de leur contexte. Par ailleurs, les logiques des premières, bien différentes les unes des autres (économiques ou néolibérales pour les unes, centrées sur les droits humains ou l’inclusion pour les autres), ne s’accordent pas facilement ou ne sont pas toujours souhaitables sans une réflexion en rapport avec la logique nationale ou locale. Il est souvent difficile pour les premières de ne pas imposer leur vision, explicitement ou implicitement ; comme il est souvent tentant, pour les secondes, d’accepter sans discuter les « offres », alléchantes sous certains aspects, sans prendre en compte les effets pervers d’une certaine perte d’autonomie et de l’arrêt des financements (Chevaillier et Tenne, 2020).

45Deux conditions essentielles nous semblent particulièrement importantes pour les parties en présence. La première est d’instaurer une véritable « éthique du partenariat », telle qu’elle a été définie dans le numéro 3 des Carnets de l’expertise (2017). La seconde est de prévoir impérativement dans les projets les modalités nécessaires pour assurer la pérennité des actions entreprises.

Travailler avec les associations de la société civile

46Non pas travailler sans les associations de la société civile, ni contre elles, ni simplement pour elles. Mais travailler avec elles.

47Face aux mutations sociétales et aux difficultés rencontrées par des catégories de population qui se sentent abandonnées, des associations de plus en plus nombreuses de la société civile ont émergé pour y faire face solidairement. Souvent déçues par l’impuissance des politiques au niveau national et international, de nombreuses personnes estiment que c’est par la prise en main des acteurs de la société civile, au plus proche du terrain, que la « politique » (au sens étymologique du terme, c’est-à-dire la gestion de la cité) peut servir le « bien commun ». Sans doute faut-il voir dans les mouvements autour des enjeux climatiques, qui sont fortement médiatisés, le signe d’une mutation importante de la gouvernance. Celle-ci touche déjà et touchera davantage toutes les dimensions sociétales, dont l’éducation n’est pas la moindre.

48De nombreuses études de cas analysées lors du colloque ou dans ce numéro ont montré que c’est « avec » (et non pas simplement « grâce à ») des acteurs de la société civile que de nombreux problèmes vécus au niveau local ont pu trouver des pistes de solution. Mais plusieurs conditions ont dû être remplies pour assurer le succès des processus mis en œuvre. Au-delà d’une conscience aiguë et approfondie du problème posé (voir le concept de « conscience situationnelle » de Gomez, Bryk et Bohannon, 2020), il s’agit de faire naître auprès de toutes les catégories d’acteurs concernés un esprit de solidarité et de partenariat (sans recherche de mainmise de l’une des parties en présence). Trop souvent, les institutions travaillent solitairement et ont du mal à imaginer les solutions créatives qui leur permettent de travailler ensemble (constat confirmé par les rapports Talis 2008, 2013 et 2018). Il en va de même de nombreux acteurs, au sein de l’école ou des administrations, qui ont pris l’habitude de travailler isolément, sans guère de contacts autres que formels avec leurs pairs. La forme scolaire et la forme administrative les y ont conformés. En sortir est nécessaire pour répondre aux défis.

Travailler avec les autorités

49Non pas travailler sans les autorités, ni contre elles, ni simplement pour elles. Mais travailler avec elles.

50S’il n’y a pas de réforme réussie sans l’engagement des acteurs de terrain, les autorités ont un pouvoir non négligeable pour faciliter ou inhiber cet engagement. La présence d’un « récit mobilisateur » (Meuret, 2020) défendu par les autorités centrales est susceptible d’inspirer positivement les acteurs du système. En revanche, le pouvoir lié à la prescription d’une vision politique et éducative, celui lié à l’imposition d’une réglementation et celui lié au financement des acteurs et des actions sont des armes à double tranchant. Dans les études de cas analysées lors du colloque, nous avons pu observer que des réformes ont pu réussir, c’est-à-dire obtenir certains des effets attendus ou des effets positifs non attendus, aussi bien dans des systèmes caractérisés principalement par le top-down que par le bottom-up.

51L’analyse des conditions de réussite ou d’échec semble conduire à des résultats différents selon deux cas de figure. Dans le premier cas, la prescription de la réforme se met effectivement en place lorsque les éléments suivants sont présents :

  • elle est l’objet d’un consensus large des acteurs de la société civile et des acteurs de l’école (les collèges de proximité en Côte d’Ivoire en sont un bon exemple) ;

  • la règlementation (formelle, mais aussi informelle c’est-à-dire celle consacrée par les usages) n’est pas un obstacle à la mise en œuvre ;

  • le financement et l’accompagnement ont été prévus et adaptés aux exigences contextuelles des divers environnements ; les observations montrent que ces conditions ne sont pas souvent remplies : soit la prescription est trop souvent générale, alors que les contextes et les conditions de réalisations sont spécifiques et loin d’être semblables ; soit la réglementation a contribué à créer une bureaucratie où les comportements de conformité sont valorisés et les initiatives sont vues d’un mauvais œil ; soit, enfin, les financements et les accompagnements, sous prétexte d’équité, sont les mêmes dans tout le système, bien que les besoins soient très différents d’un contexte à l’autre. Chevaillier et Tenne (2020) montrent bien que prescription, réglementation et financement sont étroitement liés. Ce dernier aspect est un révélateur qui mérite attention : le lien financement /effets de la réforme est rarement transparent, pensé au préalable et évalué en fin de course.

52Dans le second cas de figure, les réformes sont pensées et réalisées par les acteurs de terrain confrontés à des problèmes contextuels à résoudre. Elles sont prises en mains parce que les autorités centrales ne les prennent pas en charge ou tardent à le faire malgré leur caractère urgent. Dans le meilleur des cas, ces dernières laissent faire, puis soutiennent les réformes après avoir constaté leurs effets positifs, enfin les généralisent à d’autres contextes confrontés à des problèmes équivalents. Dans le pire des cas, les autorités prennent des prétextes divers (le non prescrit, la réglementation non respectée, les financements et accompagnements requis) pour lutter contre l’autonomie prise par les acteurs, malgré les effets positifs des actions entreprises. Mais il existe aussi des cas de figure où les autorités centrales ont dû contrecarrer les effets pervers d’une autonomie servant essentiellement les populations les plus favorisées, comme au Chili (Bellei, 2019) ; des cas aussi où elles devront lutter contre ce type d’effets pervers difficiles à rattraper, comme en Suède (Lundahl, 2019).

Réussir ensemble des réformes : développer une intelligence collective

53Dans ce qui précède, nous avons pu dégager un certain nombre de leviers utiles à l’action au sein des systèmes éducatifs dans leur globalité ou dans des contextes particuliers confrontés à des problèmes cruciaux qui n’ont pas laissé les acteurs indifférents. Là où ils ont été utilisés, ces leviers ont permis, selon les cas, de développer différentes formes d’intelligence collective, dans des lieux plus ou moins restreints ou larges, avec des acteurs plus ou moins nombreux, avec des effets plus ou moins éphémères ou durables. Dans les lignes qui vont suivre, nous essaierons, à partir des constats précédents, de dresser un scénario suffisamment ouvert qui permette de multiplier progressivement les espaces d’intelligence collective au service du bien commun, en sachant que réformer doit être pensé comme une « symphonie toujours inachevée » et aux développements « inédits ». Au préalable, il nous paraît important d’établir deux constats et formuler deux défis prioritaires.

Au préalable, deux constats et deux priorités majeures

54Le premier constat tient au fait que si l’École et sa forme se sont mondialisées (Lessard, 2020), elles ont, contrairement aux attentes, renforcé l’inéquité entre les régions du monde, les pays, les territoires, les classes sociales, les écoles elles-mêmes. Le diagnostic de Mark Bray (2019, 2020) est particulièrement convaincant. La mondialisation a entraîné la compétition entre les pays, chacun d’entre eux demandant à l’école de développer une économie du savoir dans un premier temps (voir le Sommet de Lisbonne). Le savoir étant désormais accessible en dehors de l’école, il fallait y développer des compétences d’un autre ordre pour rester dans (ou gagner) la course (Charbonnier, 2020 ; Lessard, 2020). En effet, dans une société de plus en plus flexible, Charbonnier nous dit que les pays font face à des enjeux économiques : 15 % des emplois vont disparaître ; un tiers va se transformer et certains pays seront davantage prêts, en ayant développé chez les jeunes des compétences d’adaptation ; des enjeux sociaux engendrent une anxiété croissante au sein de la population, comme le montrent les mouvements sociaux récents dans plusieurs pays ; des enjeux culturels raniment un peu partout des tensions identitaires de toutes natures. Cette compétition entre les pays trouve dans les familles et l’école de précieux alliés, accroissant ainsi les inégalités et l’inéquité du système éducatif. Soucieuses du devenir de leurs enfants, les familles cherchent les meilleures places pour eux dans la société de demain, à travers l’école et la shadow education (Bray, 2015 ; RIES n° 68). Dans ce jeu de « l’activisme parental » (Lessard, 2020), les familles à haut pouvoir culturel et économique sont toujours gagnantes ; les familles des classes moyennes supérieures le sont aussi, à force de sacrifice et à condition qu’il reste des places disponibles ; si ce n’est pas le cas, la classe moyenne disparaît et une fracture dangereuse s’établit entre une « élite » et la « masse populaire ». L’école, qui aime les « bons » élèves, contribue « malgré » elle à renforcer l’inéquité par des processus d’exclusion ou de sélection progressifs, par la création de parcours pour les futures élites ou de relégation, en contribuant au développement de l’école de l’ombre. Malgré les défis, le système éducatif, qui se confond encore trop souvent avec le système scolaire ou académique, n’a pas pu y répondre car il reste foncièrement conservateur, malgré les tentatives de grandes figures de l’éducation pour faire évoluer la forme scolaire (RIES n° 79). Mamadou Ndoye (2020) évoque la « remise en cause du monopole académique » et, dans un ouvrage récent, Alessandro Baricco (2019) conclut à une « faillite de l’élite », qui s’arc-boute sur ses certitudes (« there is no alternative ») face à la prise de pouvoir du peuple.

55Le deuxième constat réside dans la diversité des contextes, illustrée dans de nombreuses études de cas du colloque. Si l’on assiste à des forces d’uniformisation à travers la mondialisation, qui tend même à imposer une globalisation, c’est-à-dire un système unique tant économique que culturel, on constate conjointement des conséquences très variées dans le vécu des acteurs selon les contextes, en fonction de leurs caractéristiques socio-historiques et environnementales et de leurs ressources. Les laissés-pour-compte de la globalisation et de la compétition sont plus nombreux dans certaines régions du monde, dans certains pays, dans certains territoires au sein d’un même pays ou même d’une ville, dans certains établissements, dans certaines filières. Ils prennent de nombreuses formes : les exclus du système scolaire, les migrants qui arrivent en masse dans certaines zones, les peuples autochtones qui se sentent marginalisés, et bien d’autres. Certains territoires et établissements voient les acteurs de terrain confrontés à des problèmes auxquels ils n’ont pas été préparés. Se sentant oubliés dans les faits par les responsables des politiques publiques et éducatifs, qu’ils jugent trop souvent enfermés dans une bureaucratie conservatrice, les acteurs locaux n’ont d’autres choix que de baisser les bras (se résigner ou tenter de fuir) ou d’y faire face en organisant des relations horizontales solidaires entre les différentes catégories d’acteurs de l’environnement local, souvent en sortant des règles et des usages de la forme scolaire.

  • 7 Nous ne croyons donc pas que le scénario de la « rescolarisation », défendu par Lessard (2020) dans (...)
  • 8 Voir la vidéo en ligne sur le site de France Éducation International : https://bit.ly/2ScFfn9

56Deux constats et deux problèmes prioritaires sont étroitement liés : l’inéquité (la qualité réservée à certains) et conjointement la multiplication de contextes cumulant les difficultés. Les fractures entre des élites et des laissés-pour-compte sont de plus en plus durement ressenties et sont de mauvais présage si l’on ne s’y attaque pas durablement. Dans ce qui suit, nous voyons deux voies conjointes pour y faire face : réussir à créer un maillage collaboratif au sein du système scolaire ; réussir un maillage collaboratif entre le système scolaire et le système social. Ceci signifie que le système éducatif ne devrait plus se restreindre au système scolaire7 mais devrait être le fruit d’une collaboration étroite entre les deux systèmes, comme le suggérait lors du colloque Chaechum Gim8, ancien vice-ministre coréen de l’éducation, suivi de Bray (2020) et Baba-Moussa (2020), dans ce numéro.

Créer un maillage collaboratif au sein du système éducatif

57Le système éducatif se réduit trop souvent à un organigramme où les relations sont de nature transmissive et descendante (Bardi et Véran, 2020). Pour créer un scénario ouvert permettant des actions adaptées et adaptatives, il nous faut davantage penser le système comme un maillage permettant de développer une intelligence collaborative. La figure suivante tente de mettre en évidence les quatre grandes strates de la chaîne des actes et les mailles les plus importantes d’un tel système. Nous préférons parler de « strates » plutôt que de « niveaux » : en géologie, les strates se superposent les unes sur les autres mais agissent aussi les unes sur les autres en des mouvements divers. Et nous parlons de mailles pour bien montrer que pour faire système, les acteurs et les institutions ne peuvent rester solitaires mais doivent se solidariser, à l’exemple d’une tapisserie dont les éléments sont réunis par et pour une intention d’ensemble.

Figure 1. Les quatre grandes strates de la chaîne des actes

Figure 1. Les quatre grandes strates de la chaîne des actes

58Pour développer une intelligence collective au sein de l’ensemble du système éducatif (rappelons qu’il s’agit là d’un wicked problem), il s’agit d’abord de développer un maillage collaboratif au sein de chaque strate.

La strate des communautés locales d’apprentissage

59À « tout seigneur tout honneur ». Commençons donc par les acteurs locaux, puisque les études de cas du colloque, les analyses qui en ont été faites dans ce numéro et de nombreux travaux de recherches (voir Rey, 2016, et la synthèse de plus de 800 méta-analyses de Hattie, 2009) montrent que les progrès des élèves dépendent avant tout des attentes, des capacités et de l’engagement des acteurs de terrain. L’élève (le futur adulte), l’enseignant, les parents, le chef d’établissement sont au cœur de l’action éducative. Vont-ils constituer des corps séparés, soucieux de préserver leurs intérêts individuels ? Ou vont-ils ensemble se saisir des problèmes qui se posent pas à pas pour produire de l’intelligence collective au service du bien commun ? Constituer, autant que possible, partout et de plus en plus dans le temps des strates de communautés locales d’apprentissage est l’une des conditions majeures pour réussir à réformer et construire le système éducatif de demain. À quelles conditions ?

60Une première condition est de restreindre les relations duales entre les acteurs, sources de tensions entre un acteur dominant qui tend à se positionner en « sachant » et un autre en « réceptionniste » ou/et exécutant, et au contraire de multiplier les relations triangulaires, où, tour à tour, chaque acteur joue le rôle de médiateur, permet de trianguler les façons de voir les problèmes et, avec les autres, contribue à y faire face. La figure précitée montre pour la strate des acteurs locaux plusieurs « grandes triangulations » : (i) élève / enseignant / parent ; (ii) élève / enseignant / chef d’établissement ; (iii) élève / parent / chef d’établissement. On y voit que l’élève est le bénéficiaire de toute l’attention prioritaire ; mais on y voit aussi que le chef d’établissement joue un rôle essentiel pour faire de cette communauté locale, et avec elle, un « établissement apprenant », pour reprendre l’expression d’Alain Bouvier (2001). Par ailleurs, à l’intérieur de ces grandes triangulations, il s’agit aussi de multiplier les « petites triangulations », pour sortir chaque acteur de sa « solitude » et créer des « solidarités » : autoriser et habituer les élèves à travailler à plusieurs sur un problème ou une tâche (rôle de l’enseignant) ; promouvoir et faciliter (rôle du chef d’établissement) des temps d’échanges et de travail entre enseignants ; rendre possible et favoriser des concertations entre les parents ; créer autour du chef d’établissement un réseau de collaborateurs coordinateurs. Ceci suppose de passer de représentations (encore trop fréquentes) où l’autre est un « adversaire » ou un « empêcheur de tourner en rond » vers une représentation où « j’apprends de l’autre » et « l’autre m’en apprend ». La communauté locale devient un partage des expertises (y compris celles des élèves) et bouscule peu à peu le carcan de la forme scolaire traditionnelle, en créant des espaces physiques et virtuels de travail collaboratif (voir RIES n° 64 (2013) consacré aux « espaces scolaires »).

61Étroitement liées à la précédente, d’autres conditions sont à la fois à la base et des effets de ces triangulations. Celles-ci supposent et font émerger la confiance en l’autre, l’un des aspects du bien-être qu’évoquent Blanquer (2020) ainsi que Foin et Gauthier (2020) ; elles permettent de découvrir chez chaque autre ce que Dewey (op.cit.) appelle sa « capacité distinctive », qu’il développe et met au service du travail commun (fondement de la démocratie) ; elles valorisent ce que l’on sait et ce que l’on sait en faire (Eoyang et Mennin, 2019) ; elles développent chez les acteurs une « conscience situationnelle » (Gomez, Bryk et Bohannon, 2020), un réagir et un agir contextualisés… Une communauté locale d’apprentissage se construit très lentement, doit faire face à de nombreuses résistances et, comme dirait Alain Bouvier, hypocrisies (peur de perdre son autonomie, défense de son territoire et de ses privilèges, peur d’être évalué et aveu de faiblesse…) que permettent de cacher plus facilement les bureaucraties dont l’humain est évacué. Si elle parvient à se constituer, une communauté locale d’apprentissage construit pas à pas un récit mobilisateur local par et pour les acteurs, récit qui s’enrichit et s’ajuste au fil de l’action et de la réflexion. Mais elle peut se sentir fragile et seule non seulement dans ses premiers pas, mais aussi dans sa rencontre avec de nouveaux wicked problems.

La strate de la « gouvernance par le milieu »

62C’est ici qu’une autre strate devient essentielle. Hargreaves (2020) la nomme Leading from the Middle (gouvernance par le milieu). Les acteurs en sont le chef d’établissement (nœud essentiel dans le maillage entre les deux strates), le formateur (acteur personnel et institutionnel), la communauté locale et les acteurs d’interface (inspecteurs, conseillers, coordonnateurs, détachés…). Ici encore, il s’agit de réduire la part du travail solitaire et des relations duales pour multiplier les triangulations. Au-delà des triangulations entre les acteurs d’une même institution (il est aberrant de les voir travailler indépendamment des autres, mais c’est cependant courant), il nous faut mettre en évidence l’intérêt des grandes triangulations qui caractérisent le Leading from the Middle et qui montrent son action sur l’émergence et le travail des communautés locales d’apprentissage : (i) chef d’établissement / formateur / enseignant ; (ii) chef d’établissement / interface / enseignant ; (iii) chef d’établissement / communauté locale territoriale / enseignant ; (iv) chef d’établissement / communauté locale territoriale / parent. Ces triangulations contribuent à créer des « cultures de professionnalisme collaboratif » (Hargreaves, 2020), des « communautés d’amélioration en réseau » avec une forte « conscience situationnelle » et une « gouvernance locale » (Gomez, Bryk et Bohannon, 2020) grâce aux interactions entre les acteurs des deux strates.

63Dans un système bureaucratique où les acteurs se sont installés dans des routines individualistes qu’ils défendent âprement (Bouvier, 2019), la mise en place d’une gouvernance par le milieu ne s’avère pas aisée mais est nécessaire. Selon Hargreaves (2020), elle repose sur sept principes :

  • se soucier d’apporter une réponse à la variabilité des résultats des élèves ;

  • assumer une responsabilité collective ;

  • promouvoir et soutenir l’initiative qui répond aux défis du terrain ;

  • intégrer les initiatives dans une vision cohérente avec les priorités gouvernementales et la littérature sur les réformes ;

  • assurer la transparence dans la participation (améliorer l’apprentissage, développer le bien-être, construire l’identité) ;

  • développer une posture d’humilité (chacun apprend de l’autre et aucun n’est supérieur à l’autre) ;

  • faire travailler ensemble toutes les institutions pour disséminer ces six principes dans tout le système.

  • 9 Les aspects qui suivent ont été développés dans De Ketele (2014) ; Jorro, De Ketele et Merhan (dir. (...)

64Si la gouvernance par le milieu est bien une question d’organisation (les triangulations) et de principes d’action, elle est aussi essentiellement une question de « posture » (De Ketele, 2014 ; Jorro, De Ketele et Merhan, 20179). Pour bien nous faire comprendre, utilisons la métaphore de la sculpture, où la posture est une question de position, de stature, de maintien de la personne ou de l’objet sculpté, qui, de figé, devient dynamique et exprime un mouvement (que l’on pense au Discobole de Myron ou au Penseur de Rodin). Des signes divers mis ensemble dévoilent une façon d’être et d’agir. Cette métaphore mérite d’être transposée à la posture de l’accompagnateur, jouée par les acteurs de la gouvernance par le milieu. Au départ, celui-ci (l’accompagnateur) est amené à mettre en mouvement le caractère figé de son statut (une position haute perçue par l’accompagné) en une série d’indices qui manifestent sa réelle volonté d’assurer une véritable rencontre avec l’accompagné (et non une simple transmission verticale, mais une rencontre de deux « disposition » plutôt que la simple application d’un « dispositif »), un partage du pain (les ressources de l’un et de l’autre), un cheminement (faire un bout de chemin ensemble qui apporte quelque chose à l’un et l’autre). L’accompagnateur se comporte en « ami critique » : ami, dans le sens où il veut avant tout le meilleur pour l’autre ; critique, car en lui demandant d’expliciter le sens de son action et de ses effets, il aide à le faire progresser et progresse en même temps lui-même. L’accompagnateur est également soucieux de développer une posture de la reconnaissance, au sens donné par Ricoeur (2004). Reconnaître l’autre suppose quatre conditions conjointes : le situer dans son contexte, son histoire et son statut ; l’accepter tel qu’il est ; le valoriser pour l’expertise dont il fait preuve ; lui manifester des signes de reconnaissance (dont l’absence engendre beaucoup de souffrance chez les acteurs, dans les systèmes bureaucratiques).

65De telles postures permettent de développer le professionnalisme collaboratif, selon l’expression de Hargreaves (2020), que nous aimons décrire en termes de « rencontres de professionnalités émergentes » (De Ketele, 2014), et non de mise en conformité avec des standards universels, identiques pour tous, en tous lieux et en toutes circonstances. La théorie des opportunités (affordances theory), développée suite aux travaux de Billet (2001) et de Bourgeois (2013) sur l’apprentissage en milieu de travail, sont particulièrement utiles pour penser la gouvernance par le milieu et développer des communautés d’apprentissage. Selon cette théorie, on apprend d’autant mieux dans un milieu de travail et les professionnalités se développent d’autant plus que : (1) des opportunités d’apprentissage existent dans l’environnement ; (2) ces opportunités sont identifiées par les acteurs concernés ; (3) reconnues comme suffisamment accessibles ; (4) comme ayant de la valeur pour faire mieux ; (5) saisies et mobilisées adéquatement. C’est l’une des fonctions essentielles des acteurs de la gouvernance par le milieu d’enrichir les environnements d’opportunités d’apprentissage et de formation, d’aider les acteurs locaux à les identifier, à leur donner du sens et à les mobiliser adéquatement.

La strate de la vision éducative

66La gouvernance par le milieu est une strate qui évolue entre la strate des nombreuses communautés locales d’apprentissage et celle que nous avons appelée la strate de la vision éducative. Celle-ci est bien la fonction première du ministère de l’éducation, les fonctions de réglementation et de ressources étant censées être secondes et subordonnées à la première. L’élaboration de la vision, « un récit mobilisateur », dit Meuret (2020), suppose non seulement un travail d’identification rigoureux de la situation existante, avec ses résultats, son niveau de développement, ses besoins et ses attentes (Ndoye, 2020), mais aussi une prise en compte des mutations sociétales et des enjeux (Novoa, 2020 ; Blanquer, 2020 ; Charbonnier, 2020 ; Lessard, 2020 ; Sall, 2020) qui n’est pas du seul ressort du ministère de l’éducation, car elle est subordonnée à une vision socio-politique, nous y reviendrons. Les acteurs (individuels et institutionnels) qui œuvrent au niveau de cette strate sont les suivants : l’interface (avec ses différents acteurs) entre la gouvernance par le milieu et la gouvernance éducative centrale ; le ministre de l’éducation, autre nœud entre la strate de la vision éducative et la state de la vision socio-politique ; la société civile (et les nombreuses associations qui la composent, sans oublier les représentations professionnelles comme les syndicats ou les représentants des jeunes) ; le chercheur-expert qui produit des connaissances de diverses natures sur l’un ou l’autre aspect du système d’éducation et de formation.

67Comme le souligne Meuret (2020), il se pose un problème crucial de légitimation et de légitimité. Les grandes triangulations suivantes sont nécessaires pour le processus de légitimation :

  1. dans la triangulation ministre / interface / chercheur-expert, le processus de légitimation trouve des arguments dans les connaissances scientifiques vérifiées expérimentalement (Meuret, 2020 ; Blanquer, 2020), mais aussi dans des recherches collaboratives avec les acteurs de terrain qui ont étudié la façon de transférer dans un contexte donné les connaissances scientifiques (Gomez, Bryck et Bohannon, 2020) ;

  2. dans la triangulation ministre / interface / société civile, cette dernière apporte une autre dimension au processus de légitimation, la dimension démocratique du processus ; pour être légitime, la vision a besoin d’être partagée et de nombreuses résistances sont à vaincre, comme le montrent Weinstein (2020) à propos des syndicats et Rayou (2020) à propos du genre) ;

  3. la triangulation ministre / société civile / chercheur-expert peut contribuer à dénouer de fausses croyances ou à déjouer les pièges de l’imaginaire ou de l’idéologie.

68L’essentiel finalement, pour les acteurs de terrain et de la gouvernance par le milieu, est de disposer d’un « récit mobilisateur » (Meuret). Deux triangulations complémentaires nous paraissent à ne pas négliger pour faire circuler la vision, la traduire dans les différents environnements et articuler les forces. La première concerne l’axe de l’expertise, avec un travail collaboratif entre chercheur-expert / formateur / interface. La seconde concerne l’axe de la démocratie, avec un travail collaboratif entre société civile / communauté locale territoriale / interface. Le récit mobilisateur en construction et légitimation est travaillé avec les acteurs de la gouvernance par le milieu. Il est important que les triangulations travaillent de proche en proche.

69Si les responsables au niveau central ont pour fonction première de proposer une vision sous forme de « récit mobilisateur », leur pouvoir de réglementation et de mise à disposition des ressources (organisationnelles, humaines, logiques, financières) n’a en principe d’autre finalité que de faire circuler cette vision et de permettre aux différents acteurs de faire face aux problèmes rencontrés dans leur environnement propre, en ne perdant pas de vue cette vision éducative. Cela implique de :

  1. faire circuler celle-ci au sein de chaque strate (sans oublier les différents services du ministère, qui lui-même travaille trop souvent sans se référer à une vision partagée) ;

  2. concevoir et ajuster la réglementation et l’attribution des ressources pour permettre que le maillage et l’apprentissage collaboratif en triangulation de proche en proche soit possible et effectif ;

  3. et donc prévoir des espaces (physiques et virtuels) et des temps qui le permettent.

La strate de la vision socio-politique

70Dans les faits, les ministères de l’éducation n’ont été trop souvent que des ministères de l’enseignement scolaire et leur vision s’est trop souvent réduite à un programme prescrit à enseigner. Face aux nombreuses mutations sociétales qui ont été décrites dans ce numéro et qui nous font entrer dans « une nouvelle civilisation » (Blanquer, 2020), un programme (ou un curriculum prescrit) ne peut, à lui seul, constituer un « récit mobilisateur ». Mais qu’est-ce qu’un récit ? Quand est-il mobilisateur ?

71Dans Temps et récit, Paul Ricoeur (1983) précise que le récit est un acte de synthèse qui permet d’agencer, d’ordonner, de réfléchir, de donner du sens à un événement insaisissable qu’est l’appréhension du temps tel qu’il est perçu et vécu par le sujet. Nous sommes bien dans une époque où l’appréhension du temps est rendue d’autant plus difficile, et même angoissante aux yeux de certains, que les mutations s’accélèrent. Nous sommes bien dans un temps où il importe de penser l’avenir pour comprendre le présent (Novoa, 2020). Nous ressentons donc le besoin d’un récit collectif qui sera d’autant plus mobilisateur que : (i) il donne du sens aux événements et les articule ; (ii) le récit synthèse est bref, accrocheur, facile à retenir ; (iii) il permet à chacun de construire sa propre histoire avec les personnes avec lesquelles il vit et travaille ; (iv) il permet de prendre des décisions, d’agir ensemble et, ce faisant, de produire de l’intelligence collective.

72C’est d’abord au niveau de la strate socio-politique que doit se construire un récit mobilisateur, autour de questions aussi fondamentales que : qui sommes-nous ? Que sommes-nous en train de devenir ? En quelles valeurs voulons-nous croire ? Que décidons-nous pour vivre mieux ensemble ? La première de ces questions fait référence à une histoire, la seconde aux mutations qui agitent la société, la troisième à ce qui donne sens au projet socio-politique, la quatrième aux orientations de l’agir ensemble. S’il incombe aux responsables politiques au plus haut niveau de s’impliquer dans l’élaboration d’un récit mobilisateur, ils ne peuvent le faire seuls ; heureusement d’ailleurs, car les gouvernements et les ministres passent, les récits mobilisateurs restent… dans la mesure où ils ont été construits par et avec d’autres acteurs individuels et institutionnels.

73En effet, la strate de la vision socio-politique se compose de plusieurs catégories d’acteurs institutionnels : le responsable politique au plus haut niveau du pays, qui coordonne l’action des différents ministères, le ministre de l’éducation qui porte ou portera la vision éducative, le Parlement qui représente la population et prépare en commission les projets à soumettre à la discussion et au vote, les organisations internationales ou supranationales auxquelles les pays adhèrent et avec lesquelles ils établissent des accords. Ces différents types d’acteurs de la strate socio-politique sont censés travailler au bien commun. Pour cela, il est nécessaire qu’ils ne travaillent pas solitairement ni en relation duelle, ce qui génère des tensions parfois insolubles, mais créent des « espaces de rencontre de schémas d’appréhension diversifiés » (Rumpala, 2010). C’est bien là le rôle des grandes triangulations à l’intérieur de cette strate :

  1. Responsable politique / ministre de l’éducation / Parlement : la vision éducative se déduit de et sert la vision socio-politique qui émerge des schémas d’appréhension des différents ministères et des travaux des parlementaires.

  2. Responsable politique / Parlement / organisations multilatérales : celles-ci contribuent à ouvrir les représentations des premiers et mettent à disposition des bases de données et des rapports d’études qui viennent compléter celles et ceux déjà disponibles au niveau du pays ; les premiers (responsable politique et Parlement) contribuent à attirer l’attention des organisations sur le fait que, derrière l’alignement des chiffres, se trouve une diversité de personnes et de contextes.

  3. Responsable politique / ministre de l’éducation / organisations multilatérales : l’histoire récente nous apprend combien une institution internationale, comme par exemple l’OCDE à travers PISA ou comme l’Unicef à travers la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), a pu plus ou moins vite, selon les pays, contribuer à faire évoluer leur vision éducative et leur vision socio-éducative.

74Comme le montre notre schéma sur le maillage du système, le ministre de l’éducation est un nœud important entre la strate de la vision socio-éducative et celle de la vision éducative. Mais n’oublions pas l’existence de deux autres nœuds essentiels dans le maillage :

  1. la société civile et ses différentes représentations – y compris celle des jeunes, comme le rappelle Mabiala (2020) – qui, à travers leurs divers schèmes d’appréhension, amènent les acteurs précités de la strate socio-politique à réaménager leurs propres conceptions ; la société civile joue un rôle important en se trouvant sur l’axe démocratique du maillage du système ;

  2. l’acteur chercheur-expert qui, à travers les résultats des recherches dans les différents domaines (éducatifs et autres), fournit des arguments scientifiques de nature explicative sur les phénomènes passés et présents (non futurs, comme le rappelle Meuret, 2020) et permet d’évacuer certaines fausses croyances ; c’est l’axe de l’expertise de notre schéma qui est concerné.

75Mais ces espaces de rencontre de schémas d’appréhension appellent « une reformulation polyphonique du bien commun » (Rumpala, 2010), cette dernière constituant une « vision » que nous espérons suffisamment partagée parce que produite collectivement. Elle devient « récit mobilisateur » lorsqu’elle circule à travers les différentes strates (et les maillages des différents acteurs), pour leur donner un sens, les opérationnaliser dans le contexte qui est le leur et leur permettre de construire leur propre récit mobilisateur. Le rôle de « la gouvernance par le milieu » est évidemment essentiel dans ce travail de circulation et de contextualisation de la vision à l’intérieur et entre les mailles du système, travail jamais achevé car tout problème identifié et travaillé change le contexte et met en évidence d’autres problèmes. La vision devient « récit » (Ricoeur, 1983).

76La réforme commencée en Finlande en 1970 en est une belle illustration. En se fixant comme objectif premier le développement d’une juste confiance en soi chez chaque enfant, en prônant une éducation inclusive (l’intégration des personnes avec handicap dans la classe), en donnant la responsabilité aux municipalités et aux établissements de contextualiser le National Core Curriculum et les parcours des apprentissage des élèves, la Finlande a formulé une vision qui est devenue depuis lors un « récit mobilisateur » et continue à le rester, alors qu’elle mène une réflexion pour affronter les défis posés par les mutations sociétales.

Du scénario de la « forme scolaire » vers un scénario des « formes partenariales »

77Comme le dit très bien Alioune Sall (2020), on ne peut ni prédire ni même prévoir l’avenir, tout au plus peut-on l’explorer et l’aider à se construire. C’est ce que nous avons commencé à faire dans ce qui précède. À l’instar de Novoa (2020), qui estime inévitable un changement du modèle scolaire, et de Lessard (2020), qui a examiné les six scénarios de l’OCDE (2001), posons-nous aussi la question de savoir si le scénario de la forme scolaire (sous l’une ou l’autre de ses formes) va persister malgré les pressions de toutes natures qu’elle subit et qui sont décrites dans plusieurs contributions de ce numéro.

78Commençons par caractériser cette forme scolaire qui, au fil du temps, s’est mondialisée et a résisté, malgré les nombreuses tentatives de quelques « grandes figures de l’éducation dans le monde » (objet du n° 79 de la RIES), tentatives qui n’ont guère réussi à pénétrer le système scolaire formel.

79Caractérisé sur le plan de l’espace, l’établissement scolaire est un ensemble de blocs architecturaux indépendants (les classes), juxtaposés les uns aux autres ou empilés les uns au-dessus des autres. Une classe est un ensemble de bancs ou de tables alignés en rangs d’oignons, réduisant les possibilités d’interactions entre les élèves, devant une estrade où règne l’enseignant, maître de l’interaction.

80Caractérisé sur le plan de la dimension temporelle, l’horaire des élèves est une succession de périodes juxtaposées et indépendantes les unes des autres, où l’élève passe d’une discipline à l’autre ; il en va de même pour l’horaire de l’enseignant, qui passe d’une classe à l’autre sans rencontrer ses collègues si ce n’est lors d’une pause éventuelle dans la salle des professeurs, car aucun autre espace et aucune période ne sont prévus pour une collaboration autre que formelle.

81Caractérisé sur le plan du contenu, le programme d’enseignement (on ne parle guère de programme d’apprentissage) est une liste de disciplines juxtaposées, chaque discipline étant une liste de chapitres, chaque chapitre étant l’objet d’un ensemble de leçons. Remarquons que les tentatives d’interdisciplinarité se sont souvent révélées vaines, ce qui est compréhensible, compte tenu de ce qui a été dit précédemment.

82Caractérisé sur le plan de la dimension de l’évaluation, les épreuves dans les différentes disciplines sont indépendantes les unes des autres, mais une note finale est calculée en faisant une somme ou une moyenne d’éléments non comparables ; il en va de même pour l’évaluation à l’intérieur d’une même discipline, où il s’agit du cumul d’interrogations, de devoirs ou d’examens, sans guère prendre en considération le caractère intégratif de l’appropriation des connaissances.

83Examiné de ce point de vue caricatural, diront les uns, ou réaliste, diront les autres, il semble effectivement difficile à croire à la possibilité d’un maillage et d’un travail collaboratif dans un esprit de triangulation entre les acteurs d’une même catégorie (ce que nous avons appelé les « petites triangulations ») et entre les catégories d’acteurs (les « grandes triangulations »). Paradoxalement, disent Bardi et Véran (2020), il est difficile de penser que, dans la forme scolaire qui la caractérise actuellement, l’école soit une « organisation apprenante ».

84Cette configuration (espace – temps – contenu – évaluation, à laquelle il faut ajouter un organigramme linéaire de transmission hiérarchique descendante) peut-elle encore tenir dans les années à venir ? Ou, pour le dire dans les termes de Mark Bray (2020) suite à sa démonstration du développement des « organisations de soutien privé » (private tutorial organizations), les systèmes éducatifs peuvent-ils encore avoir un avenir, en restant de fait des systèmes formels de scolarisation ?

85Sur la base de ce que nous avons dit dans les sections précédentes, nous émettons l’hypothèse que la forme scolaire ainsi décrite, si elle résistera encore longtemps dans certains milieux, va devoir consentir petit à petit à l’existence d’autres formes à côté d’elle, et va progressivement devoir établir des partenariats (plutôt que de rester en concurrence) avec des acteurs externes ayant acquis une expertise reconnue dans un domaine éducatif particulier (la pandémie du Covid 19 qui vient de toucher le monde entier semble nous donner raison). Suite aux mutations de plus en plus imprévisibles de la société, il n’est pas possible de prédire ou de prévoir quand, comment, avec qui, sous quelles formes (le pluriel s’impose tant les contextes sont divers et peuvent évoluer vite) ces partenariats s’établiront. Tout au plus notre analyse nous pousse-t-elle à dire (et à espérer) que préparer l’avenir (et non le subir) est d’établir un travail de collaboration (œuvrer ensemble), avec une éthique du partenariat (sans laquelle se créent des tensions). De multiples indices analysés dans ce numéro nous indiquent que de multiples formes autres que scolaires existent et se développent un peu partout dans le monde.

86Outre celles évoquées par Mark Bray, nous pensons à celles qui ont été rassemblées sous le vocable d’« éducation non formelle », évoquées par Baba-Moussa (2020) comme étant indispensables en Afrique, là où l’école n’a pas accepté une catégorie d’enfants de milieux démunis, là où elle n’a pas réussi à leur apprendre les compétences socles pour continuer leur scolarité ou entrer dans la vie sociale et professionnelle, et bien souvent n’a même pas essayé de faciliter l’organisation des passerelles entre les deux systèmes.

87De multiples formes externes d’enseignement, d’initiation, de soutien et d’éducation existent déjà ou se créent partout dans le monde, y compris dans les pays les plus développés, où l’on pourrait croire qu’elles font double emploi avec l’institution scolaire. Donnons quelques exemples de lieux qui dépassent souvent l’école en compétence et efficacité dans leur domaine spécifique : des musées qui organisent des ateliers ou des parcours initiatiques dans le domaine de l’art ; des cercles ou académies spécialisées (les domaines sont nombreux : musique, astronomie, lecture, etc.) ; des centres sportifs ; des centres de la nature ; des maisons de la culture ; des associations d’initiation aux sciences ou aux technologies… sans oublier l’éducation à la maison (phénomène en croissance).

  • 10 C’est l’occasion de relire le n° 57 de la RIES « Le plaisir et l’ennui à l’école » (2011).

88Le système scolaire formel a, jusqu’ici, plutôt eu tendance à se fermer, estimant être le dépositaire de la connaissance à transmettre. Cette croyance est en train de s’effondrer, suite à la mise à disposition de plus en plus facile des savoirs grâce aux technologies et suite aux compétences pédagogiques et ressources acquises de certaines institutions pour transmettre les savoirs liés à leur domaine spécifique. Une autre croyance forte au sein de l’école consiste à penser que l’ennui est une réalité incontournable et une sorte de passage obligé de toute acquisition d’un savoir : or, en dehors de l’école, les élèves vivent de plus en plus d’expériences où ils apprennent sans s’ennuyer (cela ne veut pas dire sans effort) ; et, au sein de leurs classes, les enseignants vivent de plus en plus mal les manifestations d’ennui de leurs élèves10.

89De telles croyances peuvent amener l’école à développer un scénario de « rescolarisation » fortement axé sur des apprentissages de base et des compétences transversales devenues essentielles pour être compétitif dans le monde de demain (Charbonnier, 2020), en assumant son rôle critique face aux dérives de diverses révolutions, numériques et autres, que nous vivons ou vivrons (Lessard, 2020).

90L’école ne peut tout faire ou, du moins, ne peut tout mieux faire. Cependant, la tendance est de la charger toujours plus, alors qu’elle n’en a pas les moyens (Foin et Gauthier, 2020). Un recentrage sur l’essentiel (encore faut-il le définir de façon pertinente et légitime) est certes nécessaire, mais l’école est-elle la seule à devoir le faire ? À pouvoir le faire ? À vouloir le faire ?

91Nous ne le pensons pas. Des changements dans la forme scolaire et des partenariats avec et dans divers lieux émergent, surtout sous la pression des besoins des enfants, de l’activisme des parents ou de situations inacceptables.

92Sous la pression des besoins des enfants, les classes du préscolaire et de plus en plus de classes des premières années primaires ont déjà réussi à opérer des aménagements (de l’espace, du temps, des contenus et de l’évaluation) et à établir des relations (plus ou moins formelles) de partenariat avec des acteurs locaux pour des activités de découverte (malgré les freins administratifs et réglementaires).

93Grâce à l’activisme parental et associatif, des accords de partenariat de plus en plus nombreux sont établis entre des établissements scolaires et des associations culturelles, artistiques et sportives, permettant à des enfants de développer leur « capacité distinctive » (Dewey, op. cité) à un haut niveau de maîtrise, sans pour autant négliger les autres apprentissages de base. Quel grand club de sport, quel opéra célèbre, quelle manécanterie aux prestations internationales… n’a pas son école de jeunes !

94Face à des situations inacceptables, des associations ont mobilisé des acteurs de l’école et des responsables locaux pour créer des « camps d’apprentissage » dans les zones rurales défavorisées de l’Inde (Lakhsman, 2020), ou prendre en charge les populations Inuit au Canada (Tramonte, 2020), ou aller au-devant des enfants non scolarisés au Maroc (Oujour, 2019).

95Les expériences continueront à se multiplier suite à ces pressions. Souvent initiées par des acteurs externes, elles changent les croyances des acteurs de l’école qui y participent. On peut espérer que des expériences de plus en plus nombreuses vont être cette fois initiées par l’école et influencer positivement les partenaires externes. Que, progressivement, les acteurs internes et externes vont expérimenter et construire ensemble des formes nouvelles d’apprentissage, intégrant les caractéristiques pertinentes des formes vécues par les uns et les autres. Ces formes seront diverses et inattendues, tant l’avenir nous réserve des surprises. On peut espérer, enfin, que les partenariats conduiront à faire du ministère non plus simplement un ministère de l’enseignement, des enseignants, de la scolarisation formelle… mais un vrai ministère de l’éducation, qui implique aussi les différentes catégories d’institutions et d’acteurs qui, en dehors de l’école, ont une fonction d’éducation.

96Jeter un regard sur l’avenir est indispensable pour comprendre le présent et ne pas céder à des visions uniformatrices qui colonisent l’avenir (Novoa, 2020). Préparer l’avenir, c’est travailler au présent à améliorer le maillage du système (figure 1) au sein et entre les quatre states (communautés locales d’apprentissage, gouvernance par le milieu, vision éducative, vision socio-politique) par le travail collaboratif des acteurs au sein des petites et grandes triangulations… en n’oubliant pas que, dans ce maillage, les parents, les communautés territoriales locales, la société civile (avec ses nombreux acteurs) et les parlementaires sont des acteurs qui ont une fonction d’éducation, avec lesquels établir des partenariats. En n’oubliant pas non plus que, dans ce maillage, les enseignants, les formateurs, les chercheurs, et les organisations multilatérales ont une expertise spécifique en éducation qui leur donne une place essentielle dans les partenariats. L’intelligence collective est le fruit du partenariat ; le maillage des partenariats est davantage susceptible d’être au service du bien commun et d’éviter les dérives. Un scénario des formes de partenariats (aux formes inédites) semble à terme mieux correspondre à l’avenir que le scénario de la forme scolaire.

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Notes

1 À l’instar de notre tâche, il s’agit pour les auteurs d’articuler les travaux de deux conférences internationales (Helsinki, 2017 ; Bâle, 2018) réunissant respectivement 150 et 100 experts de l’Association for Medical Education in Europe (AMEE), engagés dans un processus de dialogue concernant les « wicked problems » auxquels leurs institutions doivent faire face.

2 Lorsque nous faisons référence à un auteur de ce numéro, nous indiquons son nom et l’année de publication (2020). Lorsque nous renvoyons à une contribution présentée lors du colloque international, nous indiquons le nom de son auteur et l’année de référence du colloque (2019). Ces contributions peuvent être consultées sur le site de la revue à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/ries/6658

3 Les méta-analyses (voir Hattie, 2009) montrent l’impact important des attentes des parents sur les performances de leurs enfants.

4 Voir la vidéo en ligne sur le site de France Éducation International : https://bit.ly/31HTK5r

5 De telles questions sont soulevées dans un article important de Bestia G. (2010).

6 La langue française considère la mondialisation et la globalisation comme deux concepts distincts à ne pas confondre. Le premier fait référence à la multiplication des échanges et des interdépendances, et le second aux pressions exercées pour aligner les systèmes nationaux vers un système unique. Un seul terme « globalization » est utilisé en anglais pour désigner les deux phénomènes.

7 Nous ne croyons donc pas que le scénario de la « rescolarisation », défendu par Lessard (2020) dans ce numéro, soit la voie à suivre, même si certaines de ses propositions restent tout à fait pertinentes.

8 Voir la vidéo en ligne sur le site de France Éducation International : https://bit.ly/2ScFfn9

9 Les aspects qui suivent ont été développés dans De Ketele (2014) ; Jorro, De Ketele et Merhan (dir.) (2017).

10 C’est l’occasion de relire le n° 57 de la RIES « Le plaisir et l’ennui à l’école » (2011).

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Les quatre grandes strates de la chaîne des actes
URL http://journals.openedition.org/ries/docannexe/image/9463/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 313k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Marie De Ketele, « Réformer l’éducation : travailler ensemble au bien commun en développant une intelligence collective »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 83 | 2020, 205-233.

Référence électronique

Jean-Marie De Ketele, « Réformer l’éducation : travailler ensemble au bien commun en développant une intelligence collective »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 83 | avril 2020, mis en ligne le 17 juin 2020, consulté le 02 mai 2024. URL : http://journals.openedition.org/ries/9463 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.9463

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Auteur

Jean-Marie De Ketele

Jean-Marie De Ketele est docteur en sciences de l’éducation et professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) et de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il a créé la Chaire Unesco en sciences de l’éducation (1994). Reconnu mondialement comme pédagogue de grand talent, il est docteur honoris causa de plusieurs universités et a présidé l’Association internationale de pédagogie universitaire ainsi que l’Association pour le développement des méthodologies de l’évaluation en éducation (ADMEE-Europe). Il préside actuellement le conseil scientifique international du Test de connaissance du français (TCF) du FEI et celui du Conseil national pour le développement des sciences et de la technologie (CNPDEST à Dakar). Ses travaux portent principalement sur la pédagogie universitaire, sur l’évaluation des apprentissages et des systèmes éducatifs ainsi que sur l’engagement professionnel des acteurs de l’éducation et de la formation. Il dirige plusieurs collections d’ouvrages scientifiques aux éditions De Boeck et est membre du conseil scientifique de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : jean-marie.deketele@uclouvain.be

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