Gare au déboulonnage mondial ?

tatute de Staline déboulonnée à Berlin (2018)  ©AFP -  John MACDOUGALL
tatute de Staline déboulonnée à Berlin (2018) ©AFP - John MACDOUGALL
tatute de Staline déboulonnée à Berlin (2018) ©AFP - John MACDOUGALL
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Qu’il s’agisse du marchand d’esclaves Edouard Colston au Royaume-Uni ou du roi colonisateur Léopold II en Belgique : le débat sur le déboulonnage des statues est relancé.

Dans le sillage d’un activisme globalisé contre les violences policières et les discriminations racistes, suite au meurtre de George Floyd aux Etats-Unis, resurgit un conflit mémoriel qui s’est ouvert depuis plusieurs années.

Ma théorie c’est que cet élan mondial ne peut faire l’économie d’un débat « individualisé ». Et ce, en fonction des situations historiques, des territoires, et de l’avancée des différentes « politiques mémorielles ».

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Piétinée par la foule dimanche à Bristol, la statue d’Edouard Colston a été jetée dans la rivière, et devrait sans doute finir au musée… Si la méthode a été condamnée, le symbole, lui, a été en revanche favorablement accueilli par certaines voix dont celle du chef de l’opposition travailliste. Il a estimé qu’« on ne pouvait pas avoir une statue de marchand d’esclaves en Grande-Bretagne au XXIe siècle ». Rappelant que Colston était « responsable de l’envoi de cent mille personnes d’Afrique vers les Caraïbes pour devenir esclaves avec le nom de sa compagnie sur la poitrine ».

Quant aux statues de l'ancien roi Léopold II, elles ont été recouvertes de peinture rouge sang à Bruxelles, en mémoire des millions de morts et de mutilés au Congo. Une pétition est à l’étude au conseil municipal de Bruxelles pour le déboulonnage de toutes les statues de l'ancien roi des Belges. 

En France un appel a été lancé pour que soit listés au mois de juin toutes les rues, places ou bâtiments portant le nom d’esclavagistes. À commencer par ceux au nom de Jean-Baptiste Colbert, ministre au XVIIe siècle et rédacteur du Code noir qui régissait la vie des esclaves sur le territoire français. 

Ne pas effacer l’Histoire mais pouvoir remettre en question certaines mise à l’honneur, trouver un espace entre suppression et contextualisation, arbitrer ou discuter collectivement, attiser les haines ou les déminer : autant d’enjeux soulevés par ces déboulonnages et plus largement la question mémorielle dans l’espace public. 

Mais la diversité des cas met en garde contre un mouvement global qui obère la complexité et la singularité de chaque situation. Chacun se faisant le combattant d’une histoire « à sa sauce » mais aussi le chantre d’équivalences toutes faites, au mépris d’une réflexion plus profonde. 

En Martinique, avant que ne se relance les actions de déboulonnage, le 22 mai, journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage : deux statues de Victor Schœlcher ont été détruites. Connu pour avoir permis en 1848 la signature du décret abolissant l’esclavage et la traite négrière, Schœlcher est néanmoins accusé par certains groupes d’être un pro-esclavagiste s’étant réapproprié les luttes des insurgés noirs de la première heure… 

Dans un texte « Déboulonné, ce passé que je saurais voir » la politiste et historienne Silyane Larcher, a montré les imbrications plus nuancées de cette séquence historique, et posé plus largement la question de « la patrimonialisation d’une domination subie ». Elle appelle à  « un moment de réflexivité» pour « se disputer courageusement des futurs politiques inexplorés ». C’est cette dispute courageuse, démocratique mais aussi sur mesure, qui ne saurait être déboulonnée. 

Par Mathilde Serrell

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