Maxime Prévot: "Je revendique que le CDH a été le premier lanceur d’alerte sur les questions de santé"
Les présidents de parti tirent les enseignements de la crise sanitaire. Maxime Prévot, le président du CDH, dénonce les dérives du néolibéralisme. Selon lui, la sortie de crise passera par plus de solidarité en Europe. Entretien.
- Publié le 11-04-2020 à 07h00
- Mis à jour le 12-04-2020 à 08h16
Les présidents de parti tirent les enseignements de la crise sanitaire. Maxime Prévot, le président du CDH, dénonce les dérives du néolibéralisme. Selon lui, la sortie de crise passera par plus de solidarité en Europe. Entretien.
Quels sont les enseignements que tirent les présidents de parti de la pandémie actuelle ? Nos sociétés doivent-elles se réinventer ? Vers quel modèle les faire évoluer ? Maxime Prévot, le président du CDH, livre ses réflexions et juge qu’il est temps de bâtir une sécurité sociale européenne.
De plus en plus de voix se font entendre pour dire que la crise du coronavirus a mis en lumière les dérives du système libéral dans lequel évoluent nos sociétés occidentales. Ces critiques sont-elles fondées, selon vous ?
Il est fondé de remettre en cause la manière dont le néolibéralisme a entraîné une série de dérives. La mondialisation n’est pas la source de tous les maux. Les échanges commerciaux restent un puissant moyen de pacification entre les pays. Mais la mondialisation n’est pas non plus la source de toutes les vertus, comme le président du MR, Georges-Louis Bouchez, s’obstine à le croire.
Quelles sont les limites de la mondialisation ?
Le problème n’est pas tant la mondialisation que le néolibéralisme qui l’a pervertie. Les conséquences, on les voit : un impact environnemental devenu insoutenable, une mise en concurrence exacerbée des systèmes politiques et sociaux, une interdépendance entre les États qui renforce le risque de crises systémiques. Si on a tant de difficultés à se procurer des fournitures de protection, c’est parce qu’on a privilégié la localisation des entreprises en fonction de moindres coûts et pas en fonction de l’efficacité. Nous, au CDH, quand on a lancé en janvier notre processus de refondation "Il fera beau demain", nous avions déjà acquis la conviction que le jour d’après ne devrait plus ressembler au jour d’avant. On a dit de longue date que l’on doit plutôt privilégier la qualité de vie à la quantité des biens. Être dans le mieux plutôt que toujours dans le plus. Je pense que la crise sanitaire va accélérer ce mouvement. On doit saisir cette opportunité pour changer de cap et réorienter notre économie, pas seulement la réoxygéner.
Que prônez-vous ?
Il y a deux tentations à éviter. La première consiste à penser qu’on a un projet clé sur porte pour le monde de l’après-coronavirus. La deuxième, c’est de croire que ce monde d’après sera façonné par ce que les politiques sortiront de leur chapeau. Sur la forme comme sur le fond, le monde d’après devra être davantage co-construit avec la société civile (ce qui correspond à la démarche de la refondation du CDH, NdlR). On va devoir, à l’échelle globale, mettre en œuvre des plans de relance gigantesques. Mais est-ce que ces plans vont servir à rétablir à l’identique notre système économique ou vont-ils accélérer une transition vers un système plus durable et plus qualitatif ? Quand on se rappelle l’ambition du Green Deal européen, là où le bât blesse, c’est son financement. On a une belle opportunité à travers les plans de relance pour résoudre ce défi.
Le président du MR plaide pour un "big bang fiscal" afin de relocaliser en Europe la production de certains biens. Une voie à suivre, selon vous ?
La fiscalité doit être revue, mais d’une meilleure manière que le big flop qu’a été le tax shift (l a réforme fiscale du gouvernement Michel, NdlR), qui n’a jamais été financé de manière crédible. On doit être dans une démarche, non pas exclusivement de tax shift, mais de mind shift, de changement des mentalités.
À vous entendre, la sortie de crise sera européenne ou ne sera pas ?
Je le pense, en effet. Aucun pays ne se sauvera seul face au coût que va représenter la crise du Covid-19 sur le plan économique et social. La réponse, elle doit être solidaire et, à tout le moins, européenne. On va devoir faire un pas de géant vers trois avancées. Un : une fiscalité plus juste et plus équitable. Deux : un véritable mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Europe pour que le niveau de taxation sur un bien importé soit similaire à celui qui pèserait sur ce même bien s’il avait été produit en Europe. On en a parlé avec la taxe carbone. Le but, c’est que les produits importés qui ne correspondent pas à nos standards environnementaux soient taxés pour ne pas préjudicier la qualité des produits mis sur le marché en Europe.
L’objectif, c’est aussi la relocation de la production ?
Bien sûr. Et c’est pour cela qu’il faut aussi prévoir un mécanisme qui ajuste les charges fiscales et parafiscales afin de réduire l’intérêt qu’il y a à produire à moindres coûts à l’étranger ce que nous pourrions produire ici.
Et la troisième avancée pour laquelle vous plaidez ?
Si la mondialisation a montré ses limites, elle doit à présent montrer son potentiel vertueux. Nous plaidons pour la constitution d’une sécurité sociale européenne. Cela semble d’autant plus pertinent à la lumière du Covid-19. On a aujourd’hui des millions d’Européens, en Grèce par exemple, dans une situation aussi peu enviable que des millions d’Américains. On doit avoir beaucoup plus de solidarité au niveau européen sur les enjeux de santé et sanitaires.
"Pas de tabou sur l’effacement partiel des dettes des États"
"Si Écolo a le mérite d’avoir été le premier lanceur d’alerte sur les questions climatiques, je revendique que le CDH a été le premier lanceur d’alerte sur les questions de santé, clame Maxime Prévot. On tape depuis longtemps sur le clou de la santé et les coupes sombres de plusieurs milliards dans les budgets des soins de santé. Certains s’en moquaient, alors qu’il n’y a rien de plus précieux que la santé. C’est le patrimoine le plus intime de chacun autour duquel toute la société est en train de tourner. On le voit avec cette crise. J’espère qu’il y aura une prise en compte, pas seulement opportuniste, mais structurelle de cet enjeu. Je n’oublie pas qu’au lendemain des attentats, on a dit combien les policiers faisaient un travail extraordinaire. Aujourd’hui, il en manque 3 500 par rapport au cadre légal… On a diminué les crédits destinés à leur engagement."
Les demandes de refinancement de toutes sortes se multiplient depuis quelques semaines. Mais a-t-on les moyens financiers de nos ambitions ?
Les milliards de déficit qui sont en train de se creuser vont tôt ou tard devoir être rattrapés et vont tôt ou tard avoir un impact sur nous et nos enfants. Il faudra, à tout le moins, sortir du carcan de la règle européenne du déficit budgétaire maximum autorisé. Il ne servira à rien de faire de l’orthodoxie budgétaire si plus personne n’est en capacité de respirer.
Pourrait-on imaginer un effacement partiel des dettes des États européens afin de les soulager ?
On entre dans une ère qui n’autorisera plus les tabous… On a souvent considéré que la question de l’effacement de la dette ne se posait que dans un rapport entre les pays dits développés et les pays en voie de développement. Mais on va se retrouver avec une fragilité structurelle de ces pays développés, qui vont devoir se muer en pays "en redéploiement économique et social". C’est là qu’il faudra bien choisir les créneaux dans lesquels on va dégager des moyens pour qu’ils soient en phase avec la société que l’on veut.
Les réponses apportées à la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires ont eu pour effet une restriction des libertés individuelles (caméras de surveillance, enregistrement des empreintes digitales, PNR dans le transport aérien, barrières aux frontières, etc.), sans retour en arrière après la crise. Le jour d’après la crise du Covid-19, sera-t-il aussi un jour avec moins de libertés ?
Cette vision de liberté absolue de l’individu, elle est le pendant en économie du néolibéralisme exacerbé. Le soi d’abord, alors qu’il faut aussi penser à la communauté. Aucune liberté n’est absolue. Elle doit toujours être cadrée - pas nécessairement restreinte - par rapport à un enjeu de cohésion sociale et territoriale. Je ne suis pas inquiet avec les mesures prises. La question est de savoir qui les prend et pour faire quoi. C’est bien pour cela que j’ai cosigné la lettre demandant l’exclusion du Fidesz, le parti du Premier ministre hongrois Victor Orban, du Parti populaire européen (dont le CDH fait partie, NdlR). Quand quelqu’un s’arroge des pouvoirs spéciaux sans qu’ils ne soient cadrés et limités dans le temps, cela suscite de réelles inquiétudes.