Le grand écart entre les circulaires qui veulent changer la vie des profs et la réalité du terrain dans les écoles
De quoi ont pu bénéficier les élèves ? D’abord, de rien, le temps de trouver du personnel… Et puis, de pas grand-chose.
- Publié le 14-09-2020 à 10h04
- Mis à jour le 14-09-2020 à 11h24
Une chronique de Marie Leduc, enseignante, membre de Changements pour l'Egalité.
À la rentrée de 2019, une nouvelle circulaire tombe : le "FLA", français langue d’apprentissage. Qu’est-ce que cela veut dire ? Outre le "FLE", français langue étrangère, qui reconnaît l’existence et les besoins spécifiques d’élèves qui ne parlent pas français, on reconnaît l’existence et les besoins spécifiques de ceux qui le parlent, mais sans avoir un niveau de langue suffisant pour les apprentissages scolaires.
Des moyens vont être débloqués pour ces élèves dès 4 ans, ce qui est une excellente nouvelle pour la réussite de tous les élèves.
La mise en pratique…
Faire passer les tests aux élèves en difficulté langagière ? Dans notre école en indice socio-économique 1, c’est-à-dire qui accueille les moins favorisés socio-économiquement parlant, c’est presque tous les élèves… Sachant que la partie orale individuelle peut durer 20 minutes, et qu’idéalement deux professeurs doivent être présents, cela a demandé énormément d’heures en septembre, au détriment du travail avec ces élèves. N’était-ce pas se tirer une balle dans le pied ? Mais on l’a fait. Les élèves ont droit à 0,4 période par semaine pendant deux ans, à partir du 1er octobre. Du jour au lendemain, l’école doit avoir trois profs de FLA et construire un dispositif FLA pour ces deux ans. Il n’est pas prévu que l’ensemble de l’équipe soit (in)formée en FLA pour pouvoir agir directement en classe.
De quoi ont pu bénéficier les élèves ? D’abord, de rien, le temps de trouver du personnel… Et puis, de pas grand-chose avec un prof FLA absent un jour sur deux puis plus là du tout. D’un peu plus après en maternelle avec quelqu’un de motivé, même si sans formation FLA spécifique. En février, une logopède commence le travail en primaire. On n’a jamais eu les trois profs. Avec la pénurie et les absences de longues durées depuis octobre, il n’y avait déjà pas de titulaire dans toutes les classes !
L’instabilité tue. Et les rentrées suivantes n’y échapperont pas. Cette année, l’équipe est au complet. Sur papier. Pour le FLA, "gestion du personnel" oblige, de nouvelles personnes. On repart à zéro. L’an prochain, ce qui sera mis en place cette année pour ces élèves s’arrêtera : après deux ans, les élèves n’y ont plus droit. Sauf en maternelle, où les nouveaux élèves pourront être testés. Pour l’entrée dans la culture écrite, il faudra repasser.
Non-sens
Si c’était juste un exemple… mais cela s’accumule. Il y a sans cesse d’autres énergies à investir, d’autres compétences à avoir, d’autres injonctions à respecter. Et les écarts se creusent.
La direction doit mobiliser son équipe et porter la mise en place du plan de pilotage. L’école est tenue de réfléchir à ce qu’elle peut faire pour améliorer les résultats des élèves, peu importe sa réalité du moment.
Comment donner du sens et planifier des actions si on n’a déjà pas le personnel de base pour travailler ? Quelle ironie. Comment un enseignant peut-il se mobiliser quand ses conditions de travail les rendent impossibles ?
Ces écarts entre intentions politiques, traductions en circulaires et réalités de terrain sont des gouffres. Quelle(s) école(s) ont-ils en tête en rédigeant ces textes ? Les agendas politiques sont-ils compatibles avec des mesures pertinentes ? Qui paie et qui paiera les pots cassés de la pénurie d’enseignants ? Encore les mêmes enfants ? Va-t-on soigner d’abord les écoles où il est plus difficile d’apprendre et d’enseigner ? Que fait-on des enseignants qui, pour plein de raisons, ne peuvent pas ou ne veulent pas ?
Assurer les bases : des enseignants présents dans les classes, remplacés rapidement et par des personnes compétentes. Former et informer les futurs enseignants, mais aussi les équipes en place. Nous soutenir avec des personnes adéquates pour implémenter les changements avec et sur le terrain, sans mettre cela sur les épaules des directions.
Si les responsables politiques veulent réduire l’écart entre intention et pratique, et ainsi redonner espoir aux écoles comme la mienne (et il y en a beaucoup à Bruxelles), il va falloir partir de la réalité de terrain, anticiper, discriminer positivement, soutenir autrement. Sans quoi, personne ne sortira du gouffre indemne.