Faut-il mettre fin aux terrasses chauffées ?
- Publié le 09-01-2020 à 09h35
- Mis à jour le 09-01-2020 à 14h42
Woluwe-Saint-Lambert envisage d’interdire les terrasses chauffées proposées par les établissements Horeca d’ici l’année prochaine et sur l’ensemble du territoire de la commune. Une mesure sans conséquence pour les cafetiers ?
Oui pour Delphine de Valkeneer, échevine de l’Urbanisme (Defi) à Woluwe-Saint-Lambert
Ces installations défigurent les façades. De plus, elles consomment énormément d’énergie, rejettent du CO2 et, tout cela, en étant inefficaces. Ces chauffages ne sont pas indispensables à l’exploitation d’une terrasse, même en hiver.
La commune de Woluwe-Saint-Lambert interdit depuis 2012 aux établissements Horeca situés le long de l’avenue Georges Henri d’installer des chaufferettes sur leur terrasse. Aujourd’hui, vous souhaiteriez étendre ce règlement à l’ensemble du territoire de la commune. Pourquoi ?
Effectivement, nous avions établi ce règlement "zoné" en 2012. Il visait principalement à encadrer l’esthétique des devantures commerciales. Nous visions à l’époque particulièrement les dispositifs intégrés aux façades qui font un peu "fouillis". Notre objectif, aujourd’hui, est effectivement d’étendre cette interdiction à l’ensemble du territoire. Ce qui motive cette extension, ce sont principalement des motifs d’ordre écologique. Ces chaufferettes consomment en effet énormément d’énergie et rejettent du CO2. De plus, elles sont relativement inefficaces, dans la mesure où leur pouvoir calorifique est très faible. Pour pouvoir chauffer l’intégralité d’une terrasse, il faut disposer de beaucoup de ces installations. Pour le moment, la commune est en train de vérifier sur le plan légal quel serait l’instrument juridique le plus adapté pour étendre cette interdiction. On est notamment en train de déterminer si un règlement urbanistique, spécifiquement relatif aux chaufferettes, pourrait être adopté à l’échelle de la commune. On souhaiterait, avant juin 2020, arriver au conseil communal avec un règlement qui s’appliquerait à toute la commune.
Vous évoquez la faible puissance calorifique de ces installations et leur grande consommation en énergie. Avez-vous des chiffres ?
Une estimation était sortie dans la presse en France. Un brasero classique qui fonctionne à pleine puissance durant une journée rejette l’équivalent en CO2 d’un trajet en voiture de 350 kilomètres. Que ces chaufferettes fonctionnent à l’électricité ou au gaz, le constat est le même : elles consomment énormément d’énergie.
Pensez-vous que vous rencontrerez des difficultés à appliquer ce règlement à l’ensemble du territoire ?
Depuis la réforme du Cobat (NdlR : Code bruxellois de l’aménagement du territoire), entré en vigueur en 2019, les communes ne peuvent plus adopter de règlements généraux d’urbanisme qui couvre tout leur territoire. Elles peuvent seulement adopter deux types de règlements : des règlements zonés et des règlements spécifiques, autrement dit, qui portent sur une thématique particulière. On est donc en train de vérifier, sur un plan légal, si un règlement d’urbanisme spécifique pourrait porter exclusivement sur les chaufferettes.
Les gérants de cafés et de restaurants de votre commune vous ont-ils déjà fait part de leur réaction ?
Pas directement. J’ai effectivement reçu des remarques mais de la part de tenanciers d’établissements d’autres communes, sur les réseaux sociaux. Woluwe-Saint-Lambert veut s’inscrire dans une démarche préventive et pédagogique. Le règlement ne sera pas adopté dans les jours ni dans les semaines qui arrivent. Cela donne le temps aux tenanciers qui disposent encore de ces installations de se retourner.
Dans la presse, certains d’entre eux n’hésitent pas à se plaindre en affirmant que la terrasse de leur établissement représente 30 à 50 % de leur chiffre d’affaires.
Est-ce que l’absence de chaufferettes empêche l’exploitation d’une terrasse en hiver ? À titre personnel, je ne pense pas, et ce, pour deux raisons. Premièrement, parce que d’autres villes en Europe ont déjà interdit ces dispositifs de chauffage et cela n’empêche pas les terrasses d’être fréquentées en hiver. Bien sûr, en dessous d’une certaine température c’est impossible, mais entre zéro et dix degrés, c’est tout à fait faisable. Il suffit de mettre des plaids à disposition des clients. Ensuite, il faut remarquer que l’apparition des chaufferettes extérieures est relativement récente. Cela remonte à quinze ou vingt ans au maximum. Comment faisait-on auparavant pour exploiter une terrasse en hiver ? En conclusion, la chaufferette n’empêche absolument pas l’exploitation d’une terrasse, même à cette période de l’année.
Entretien : Louise Vanderkelen
Non pour Diane Delen, administratrice de l’ASBL Fedcaf (fédération des cafetiers)
Chez les cafetiers, la grande majorité de la clientèle fume. Celle-ci se rend souvent en terrasse, même l’hiver. Faire interdire les chaufferettes ferait courir le risque que la clientèle s’en aille fumer ailleurs.
De nombreux cafés chauffent leurs terrasses en hiver, ce que certaines communes commencent à juger problématique pour des raisons environnementales. En quoi les supprimer pourrait-il s’avérer néfaste pour les cafetiers ?
À partir du moment où vous avez l’autorisation d’installer une terrasse, pourquoi est-ce que tout d’un coup on devrait interdire les petites chaufferettes ? Celles-ci sont en libre-distribution, il ne faut pas une autorisation spéciale pour en acheter une. D’autre part, le client fumeur ne peut pas fumer à l’intérieur du café, donc forcément il sort sur la terrasse. Encore faut-il qu’elle ne soit pas couverte, autrement on ne peut pas fumer dedans non plus. Or si ce n’est pas chauffé en hiver, que fait le client ? Il repart chez lui, là où il peut fumer.
En somme, les chaufferettes permettent aux petits cafés de retenir la clientèle fumeuse ?
L’interdiction de fumer nous avait déjà fortement inquiétés à l’époque : chez les cafetiers, 87 % de la clientèle est fumeuse. Je parle là du "Volle Pot" du coin, ces cafés populaires qui sont, en fin de compte, le centre culturel de l’ouvrier. Qui rentre là en salopettes avec ses bottes pleines de boue, qui consomme de la bière et fume. Cela nous avait obligé à investir dans des fumoirs et dans des extracteurs de fumée qui coûtaient la peau des fesses. On vous autorise quelque chose qu’on vous supprime par la suite. Mais un acquis devrait rester un acquis. À nouveau, on assiste à une mesure à l’encontre de l’Horeca, qui est en crise à un point que l’on n’imagine pas.
Justement, économiquement, quelle est la situation des "petits" cafés populaires ?
On ne sait plus quoi faire. La durée de vie d’un café actuellement, que ce soit en Wallonie, à Bruxelles ou en Flandre, c’est entre 13 et 18 mois. Si on prend par exemple les cafés exploitants de jeux de hasard, avant l’interdiction de fumer il y en avait 18 000 ; en 2016, 9 600 ; le mois dernier il en restait 5 800. Personnellement, j’ai mis la clé sous le paillasson avant de partir en faillite. On se dit toujours : "ça va aller mieux demain", mais avec les taxes qui augmentent, on va finir par demander cinq euros pour un verre de bière…
Mais la Fedcaf a cependant obtenu quelques aménagements pour les petits cafés, non ?
Seules consolations, nous avons été entendus en ce qui concerne les petits cafés ne dépassant pas 25 000 euros hors TVA en nourriture - ces établissements ont été exonérés de l’installation de la caisse enregistreuse (black box). De même, quand il a été question d’appliquer 21 % de TVA sur la recette de certains jeux (Bingo, etc.), une idée finalement abandonnée compte tenu du manque à gagner.
Les terrasses sont-elles taxées en règle générale ?
Quand vous voulez une terrasse, la première chose que vous devez faire c’est demander l’autorisation. À partir du moment où vous pouvez l’installer, certaines communes demandent une taxe annuelle. Dans d’autres, moins nombreuses, c’est gratuit. J’ai travaillé à Boitsfort pendant 40 ans et après avoir eu l’autorisation pour avoir une terrasse aux normes, je ne payais pas de taxes. Mais la majorité des communes taxent les terrasses.
Entretien : Clément Boileau
Fumette et été austral
"Est-ce que vos clients demandent la facture parce qu’ils commencent à avoir froid ?" , demande ce vendeur de chauffages de terrasse sur son site web. "Nos chauffages de patio professionnels gâteront vos clients avec la sensation familière de l’été austral, même si le thermomètre indique 10 degrés", argue-t-il. Une sensation de chaleur qui n’est pas le seul argument de vente, loin s’en faut. Le client fumeur étant "obligé de sortir" , dit cet autre vendeur sur son site, la chaufferette maintient un environnement "agréable pour les fumeurs" . Imparable.