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« Le Monde des lecteurs » - Coronavirus : nouvelles perspectives pour l’après

« Il me semble essentiel, en tant que grand quotidien généraliste, que vous prépariez le terrain à ce débat qui aura lieu, que vous prépariez les esprits à la prise de recul, que vous ne soyez pas uniquement la tête dans le guidon à juste compter les points « Humanité vs Covid », que vous aidiez vos lecteurs à construire une nouvelle intelligence des questions qui s’ouvrent à nos sociétés« , nous exhorte Gilles Vache.

Publié le 25 mars 2020 à 19h00, modifié le 25 mars 2020 à 19h03 Temps de Lecture 4 min.

Je prends la résolution de vous écrire alors que je lis la dernière newsletter de ce matin. L’ensemble des articles semble satisfaire aux intérêts immédiats de vos lecteurs (bourse, activité économique, soins, vaccins, évolution des contaminations…) dont je suis. Ces articles sont importants pour que nous puissions suivre l’évolution de la situation.

Pour autant, ce panorama est très incomplet. Vous n’êtes pas sans remarquer l’ensemble des réflexions qui émergent sur les réseaux sociaux : ils nous invitent à la prise de recul sur les perspectives nouvelles que donne à voir cette pandémie.

La baisse jamais vue des émissions polluantes, dioxyde d’azote ou dioxyde de carbone ; la pause dans nos rythmes de vie effrénés, et la question soudaine du « à quoi bon cette course permanente » ; la restauration quasi instantanée des eaux à Venise, de la qualité de l’air à Paris ou en Chine ; la contestation du vocabulaire guerrier d’Emmanuel Macron qui, s’il a raison de prendre des mesures de protection de la population, reste dans l’imaginaire de la domination, de l’éradication, lorsque tant de questionnements émanant de vétérinaires, biologistes, sociologues établissent un lien étayé entre l’étalement de nos habitats, nos conquêtes toujours plus agressives sur le vivant, et l’émergence de nouveaux pathogènes, issus de la rupture d’équilibres naturels… Ils nous invitent à revoir notre rapport au monde et à la nature.

En un mot, on se positionne toujours en victimes, de fait légitimes à nous défendre contre la nature : ce même imaginaire qui nous conduit à l’agriculture chimique intensive, une lutte contre la nature hors de laquelle il ne serait point de salut pour l’humanité, à la lutte aussi entre les nations, justifiant la course à la croissance économique pour toujours plus de puissance vis-à-vis de ses voisins mondiaux, à la lutte pour dompter tout imaginaire alternatif, plus ou moins oppressant sur les femmes qui doivent s’inscrire dans un rôle cadré, sur les minorités, sur les alternatives sociales…

Nous n’avons pas cessé d’être mus par nos peurs ancestrales, en somme. Nous agissons en proies parvenues et revanchardes : nous écrasons ce qui nous fait peur.

À l’issue de cette crise, nous aurons le choix entre :

- un effet rebond de production et de consommation, dans un esprit de revanche sur le destin, la nature, également pour montrer qui s’en sort le mieux dans la compétition internationale, entre les dictatures et les démocraties. Cela donnera lieu à une hausse de la pollution qui passera au second plan, comme la nature est passée au second lieu pendant cinquante ans suite aux pénuries de la Seconde guerre mondiale : il fallait produire, on avait trop manqué, on avait eu trop peur. Cela donnera lieu à davantage de contrôle des individus, pour mieux lutter contre la nature et pour mieux assurer la reprise économique comme un seul homme et sans trop de débats, à la chinoise. L’opulence sera bientôt rétablie, colosse aux pieds d’argile, dont chacun sait qu’elle ne tiendra pas très longtemps avant la prochaine crise majeure.

- une prise de conscience générale de l’effet de nos modes de vies effrénés sur nos milieux naturels, de notre appartenance à ces milieux naturels et de l’importance de vivre en harmonie avec ces milieux, et non en état de guerre permanent. L’agroécologie reflète en partie ce tournant, avec les résistances que l’on connaît de l’ancien monde, toujours dominant. Nous pourrons nous poser la question du sens de nos activités, de l’importance de nos possessions et de leurs coûts réels, de ce qui compte vraiment. Au lieu d’accumuler sans cesse sans jamais avoir le temps d’en profiter, au lieu de ces publicités qui nous vantent un temps de pause, une « pause gourmande », voire un instant de méditation dans le métro, c’est-à-dire s’inscrivant toujours dans le cadre d’une course effrénée jamais remise en cause… Prendre le temps de contempler davantage, de peut-être ne pas avoir le tout dernier téléphone à la mode, mais d’appeler sa mère à l’autre bout de la France une heure, au lieu de cinq minutes entre deux rendez-vous, prendre le temps de replonger dans ces photos d’il y a cinq ans, que l’on n’avait jamais regardées, et rappeler cette personne qui avait tant compté alors, que l’on avait laissé s’éloigner par distraction, sans mesurer le temps qui passait, comme emportés par le courant. Redessiner un rapport doux aux autres, au monde, à soi.

Pour conclure, je vous écris car il me semble essentiel, en tant que grand quotidien généraliste, que vous prépariez le terrain à ce débat qui aura lieu, que vous prépariez les esprits à la prise de recul, que vous ne soyez pas uniquement la tête dans le guidon à juste compter les points « Humanité vs Covid », que vous aidiez vos lecteurs à construire une nouvelle intelligence des questions, vastes, qui s’ouvrent à nos sociétés, pour que vous en fassiez une chance, au-delà des difficultés et des douleurs que l’on sait, de nous donner ensemble de nouveaux horizons.

Emmanuel Macron l’a lui-même dit : il y aura un avant et un après. À nous de penser cet après.

Gilles Vache, Rennes

Le Monde

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