Tribune. Toute évolution économique est la combinaison complexe de phénomènes prenant la forme de tendances lourdes, de cycles récurrents et de quasi-constantes, accompagnés de mouvements aléatoires finalement assez marginaux. L’ensemble des variables -clés – consommation, épargne, investissement, productivité, taux d’intérêt… – interagissent mais, au total, on note une relative stabilité, et donc une certaine prévisibilité de l’économie prise dans sa globalité. Cela est d’autant plus vrai que la gestion des fluctuations au travers des politiques monétaires et budgétaires s’est considérablement améliorée. Il en va de même de la compréhension des facteurs de croissance à moyen et long termes. Si bien que les prévisionnistes se battent souvent au niveau des décimales…
Mais cette vision d’un système économique suivant un couloir d’évolution finalement assez étroit est mise en défaut à chaque fois que se produit un choc majeur, qui peut être de différentes natures : guerres, actes terroristes, crises bancaires systémiques, catastrophes naturelles de grande ampleur... De tels chocs créent des « disruptions » qui produisent des déséquilibres dans le fonctionnement des sociétés et marquent l’histoire des civilisations.
Le choc de la pandémie actuelle est différent de ceux que le monde a récemment connus : l’attentat du World Trade Center de 2001, la crise financière de 2008, le séisme et la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011. Il est beaucoup plus profond, plus grave, plus durable.
Un choc très spécifique
Les chocs pandémiques sont connus. Ils sont rares, ils sont graves. Les risques de faible fréquence et de forte intensité sont par nature les plus déstabilisants. Dans la cartographie de tous les risques, les pandémies sont les plus menaçantes. D’après les modélisations mathématiques, une grande pandémie mondiale, dont la probabilité d’occurrence est d’une fois tous les 200 ans, pourrait entraîner plus de 10 millions de morts à l’échelle de la planète. Pour des probabilités encore inférieures – dans la « queue de distribution », pour utiliser le jargon probabiliste –, le bilan pourrait être infiniment plus grave. Nous n’en sommes évidemment pas là dans la situation présente : la comptabilité macabre montre que pour l’instant, le nombre de victimes n’est fort heureusement qu’une fraction de ces 10 millions de décès. D’autres fléaux mortifères frappent bien plus durement les populations mondiales. Mais la spécificité du choc actuel et sa « résonance » tiennent peut-être moins au nombre de victimes – décédées ou malades – qu’à sa nature.
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