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Jürgen Habermas : « Dans cette crise, il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir »

Dans un entretien au « Monde », le philosophe allemand analyse les ressorts éthiques et politiques de la crise sanitaire mondiale provoquée par la pandémie de Covid-19 et exhorte l’Union européenne à aider les pays membres les plus touchés.

Propos recueillis par 

Publié le 10 avril 2020 à 06h00

Temps de Lecture 8 min.

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Le philosophe allemand Jürgen Habermas.

Né en 1929, Jürgen Habermas est considéré comme l’un des philosophes les plus importants de notre temps. Représentant de la deuxième génération de l’école de Francfort, il vient de publier en Allemagne une immense histoire de la philosophie en deux volumes (à paraître aux éditions Gallimard en 2022). Européen convaincu, auteur notamment de La Constitution de l’Europe (Gallimard, 2012) et de L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ? (Gallimard 2015), il explique pourquoi l’Europe doit aider les pays membres très endettés et structurellement plus faibles qui, comme l’Italie et l’Espagne, sont particulièrement touchés par la pandémie de Covid-19.

Que révèle, selon vous, d’un point de vue éthique, philosophique et politique, cette crise sanitaire mondiale ?

D’un point de vue philosophique, je remarque que la pandémie impose aujourd’hui, dans le même temps et à tous, une poussée réflexive qui, jusqu’à présent, était l’affaire des experts : il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir. Aujourd’hui, tous les citoyens apprennent comment leurs gouvernements doivent prendre des décisions dans la nette conscience des limites du savoir des virologues qui les conseillent. La scène où se déroule une action politique plongée dans l’incertitude aura rarement été éclairée d’une lumière aussi crue. Peut-être cette expérience pour le moins inhabituelle laissera-t-elle des traces dans la conscience publique.

Mais quels sont les défis éthiques auxquels nous confronte cette crise sanitaire ?

Je vois avant tout deux situations susceptibles de porter atteinte à l’intangibilité de la dignité humaine, cette intangibilité que la loi fondamentale allemande garantit dans son article premier et qu’elle explique ainsi dans son article 2 : « Chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique.» La première situation a trait à ce que l’on appelle le « tri » ; la seconde au choix du moment approprié pour lever le confinement.

Le danger que représente la saturation des unités de soins intensifs de nos hôpitaux – un péril que craignent nos pays et qui est déjà devenu réalité en Italie – évoque des scénarios de médecine de catastrophe, qui ne se produisent que lors de guerres. Lorsque des patients y sont admis en trop grand nombre pour pouvoir être traités comme il conviendrait, le médecin se voit inéluctablement contraint de prendre une décision tragique car dans tous les cas immorale. C’est ainsi que naît la tentation d’enfreindre le principe d’une stricte égalité de traitement sans considération pour le statut social, l’origine, l’âge, etc., la tentation de favoriser, par exemple, les plus jeunes aux dépens des plus âgés. Et quand bien même des personnes âgées consentiraient d’elles-mêmes à un geste moralement admirable d’oubli de soi, quel médecin pourrait se permettre de « comparer » la « valeur » d’une vie humaine avec la « valeur » d’une autre et s’ériger ainsi en une instance ayant droit de vie et de mort ?

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