Tribune. Comment nommer correctement la période de bascule que nous traversons ? Pressentir que quelque chose de majeur va naître des conséquences de cette pandémie ne nous éclaire pas pour autant sur le monde qui se prépare et sur l’influence que nous aurons sur lui. Et cela nous inquiète.
Une maladie n’a pas de sens en soi. Sans surprise pourtant, les uns y verront un nouveau fléau annonciateur de la fin du monde, les conspirationnistes, une nouvelle preuve du complot mondial ourdi dans le dos des peuples, d’autres, la confirmation de l’effondrement global des sociétés humaines.
S’il fallait quand même se risquer à l’allégorie, on pourrait y interpréter la réaction immunitaire d’une planète blessée et harcelée par l’activité humaine et l’hybris capitaliste. Mais c’est une parabole hasardeuse, car la nature ne se venge pas. Elle se transforme sous le joug d’un modèle de développement aberrant, ignorant la finitude des ressources naturelles et la fragilité du monde vivant.
Le roi est nu
La seule chose dont nous sommes certains, c’est qu’à continuer comme avant ces crises seront toujours plus intenses et plus fréquentes. Le roi est nu. La première grande pandémie de ce siècle révèle le spectacle cruel d’une « start-up nation » sûre d’elle-même, incapable de stocker et de produire une pièce de quelques centimètres carrés de tissu indispensable pour protéger des millions de vies, à commencer par celles de ceux qui soignent tous les jours.
L’alternative au statu quo ou au repli nationaliste sous le seul prétexte de reconstituer une souveraineté industrielle disparue, c’est l’écologie sociale. Il faut retrouver une souveraineté sanitaire, réorienter les politiques publiques vers la « bonne santé », c’est-à-dire une amélioration globale de l’état de santé de la population.
Cela passe par la « démarchandisation » de l’offre de soins et de la protection sociale, la reconstruction de l’hôpital public et l’indispensable revalorisation des métiers et carrières des soignants. Cela oblige à viser l’excellence du soin tout autant que celle de la prévention, grâce à l’éducation à la santé, à une lutte déterminée contre les perturbateurs endocriniens et toutes les formes de pollution, à des politiques de prise en charge des addictions et de réduction des causes de maladies chroniques.
« Le passage à une autre société plus tempérante, plus respectueuse des personnes et de l’ensemble du vivant suppose que nous changions aussi notre regard sur le travail »
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