Tribune. Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant.
Jusqu’à quand va-t-on faire passer pour un mouvement irrésistible les décisions prises par quelques centaines de personnes en lieu et place des millions d’autres directement concernées ? Le président ferait bien de se renseigner un peu sur « le modèle amish » qu’il a cru bon de ridiculiser, car il a au moins l’avantage de faire discuter la communauté concernée sur l’ajout ou non de telle ou telle innovation. Mais la lecture du livre Agir dans un monde incertain, de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (Seuil, 2001), lui aurait montré que l’une des règles pour survivre – et non pas seulement progresser –, c’est de faire buissonner les innovations au maximum et de les discuter toutes avec soin. C’est à cela que se juge la qualité d’une civilisation.
Il est d’autant plus extraordinaire de voir ressusciter ce vieux cliché d’avant la crise du Covid-19, alors que, depuis six mois, tous les Français se demandent au contraire s’ils ne pourraient pas se désintriquer de l’irréversible train du progrès. Au moment même où chacun d’entre eux se met à comprendre que chaque médicament, chaque aliment, chaque habit, chaque moyen de transport fait l’objet d’une vive controverse et offre des marges de manœuvre qui permettent de bel et bien « renverser » ce qui paraissait inévitable. Si le confinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner tout à fait de cette idée d’une voie unique vers le progrès. Progresser oui, mais dans toutes les directions à la fois. Pas dans une seule.
Suspicion générale
Le plus étonnant, c’est que ce cliché sur la voie unique prouve à quel point le président et les siens ont bien mal saisi la crise climatique, tout en prétendant s’en occuper jour et nuit. Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, l’écologie ne porte pas seulement sur l’agriculture, les forêts, les espèces menacées, elle est exactement aussi pertinente pour parler des villes, des industries, des circuits commerciaux, des innovations les plus pointues.
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