LETTRE DE BRUXELLES
Ce devait être un numéro consacré à la seconde guerre mondiale, cet autre sujet qui divise Wallons et Flamands à propos, notamment, de la collaboration des uns et des autres avec l’Allemagne nazie, entre 1940 et 1945.
Mais comment sortir l’édition de printemps d’un trimestriel sans évoquer la pandémie ? C’est finalement Emmanuel Macron qui aura aidé Wilfried, ce magazine « qui raconte le pouvoir » : en parlant de « guerre » contre le virus, le président français a donné l’idée d’une jolie pirouette à cet ovni de la presse belge.
Wilfried fait beaucoup parler de lui et pas seulement parce qu’il sera parvenu, dans sa dernière production, à réaliser un habile mélange entre le combat contre le Covid-19 (« Jours de guerre en temps de paix », titre-t-il) et la période très sombre de l’histoire nationale qu’il ambitionnait d’éclairer. A savoir, cette collaboration massive, suivie d’une douloureuse phase d’épuration : 405 000 individus au total furent arrêtés et jugés pour trahison en Belgique. Un record européen, rappelle l’historien Ian Kershaw dans L’Europe en enfer, 1919-1949 (Le Seuil, 2016). Un nombre à relativiser toutefois, compte tenu de la faiblesse des peines généralement prononcées.
L’art honteux de la dénonciation
Wilfried, avec son (pré)nom délicieusement belge – qui ne fait pas référence aux Tuche, mais à Wilfried Martens, qui dirigea neuf gouvernements entre 1979 et 1992 –, voulait, au départ, briser un tabou. Et raconter que la collaboration de guerre fut aussi une affaire wallonne, officiellement occultée, « enkystée dans des histoires familiales », comme le dit un témoin. Une période marquée, notamment, par le fait que les francophones se livrèrent trois fois plus que les Flamands à l’art honteux de la dénonciation.
Pendant ce temps-là, de l’autre côté de la frontière linguistique, un jeune homme de 33 ans, dirigeant ce qui semble être devenu le premier parti de Flandre à en croire les sondages, met sur le même plan la collaboration et la répression. Interrogé par le magazine, Tom Van Grieken, leader du parti d’extrême droite Vlaams Belang (VB), répond en effet : « Les deux sont des pages noires de notre histoire ; on ne pourra de toute façon rien changer au passé. »
Et que pense-t-il, dès lors, des excuses que son homologue de l’Alliance néoflamande (N-VA, nationaliste conservatrice) Bart De Wever, maire d’Anvers, a présentées en 2015 à la communauté juive de sa ville en parlant de la « faute terrible » des collabos ? « C’est trop facile. La collaboration n’a pas fait du bien au mouvement flamand, absolument pas. Mais la répression n’a pas fait du bien à la Belgique. »
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