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Il faut préserver l’essentiel

Notre système politique unique, qui favorise la responsabilité des citoyens, ne doit pas être bridé, estime Marie-Hélène Miauton

La chronique

Préserver l’essentiel

Deux camps s’affrontent: ceux qui reprochent à la Suisse d’être une île et ceux qui la souhaiteraient telle. Ils ont raison et tort à la fois car elle compte encore de nombreuses spécificités mais elle les perd insensiblement. La force de sa culture fédéraliste, prônant à la fois la décentralisation et la subsidiarité, l’empêche de verser corps et âme dans la globalisation. La conscience d’avoir été et de rester encore un Sonderfall au sein de l’Europe et du monde fait la fierté des nationalistes et insupporte les européanistes. Depuis le début des années 1990, l’accusation de brader la Suisse répond à celle de s’y confiner.

Notre pays est pourtant caractérisé par le fait que sa formidable altérité n’empêche pas, voire favorise, voire même nécessite une grande ouverture sur le monde. Cette ouverture se concrétise par sa participation aux principales organisations mondiales et, finalement, à l’ONU. Par la notoriété universelle de son modèle démocratique. Par la présence disproportionnée sur son sol d’entités économiques phares, de fédérations sportives, d’institutions internationales. Par l’ampleur de certains secteurs de son économie qui lui permettent de commercer avec l’ensemble du monde. Par son succès en somme!

Mais c’est en raison de son système politique résolument unique qu’elle reste profondément différente des autres pays du monde. On n’insistera jamais assez sur la façon dont il a forgé l’esprit de responsabilité chez les citoyens. Le peuple souverain en Suisse est beaucoup consulté, soit, mais cela oblige le pays tout entier à ouvrir le débat sur des sujets très variés, débats auxquels la population ne peut se soustraire tant est grand le travail d’information des partis politiques et des médias. Il en résulte une perception plus globale du fait politique que dans d’autres pays où, une fois les élections passées, l’élaboration des lois et les détails de leur application sont délégués au parlement. Le processus de consultation qui précède les actes législatifs ralentit les décisions mais permet d’intégrer toutes les sensibilités politiques et associatives aux décisions. C’est grâce à lui que le peuple n’est pas dans la rue pour un oui ou pour un non. Grâce aussi aux initiatives populaires qui irriguent la politique et l’obligent à rester en phase avec les préoccupations du peuple au lieu de tourner en circuit fermé comme on le constate trop souvent ailleurs.

Dans La Démocratie confisquée, l’essayiste et politicien français Yvan Blot écrivait: «La démocratie directe n’empêche pas le Parlement de jouer son rôle. Par contre, elle met en échec les tendances à l’oligarchie qui caractérisent les régimes purement parlementaires. Elle affaiblit non le pouvoir des Chambres mais celui des antichambres» (médias, syndicats, associations, bureaucratie). La remarque est dure mais vraie. Serait-ce pour cela qu’on reparle chez nous de mettre des entraves à la démocratie directe en augmentant le nombre des signatures ou en raccourcissant les délais de récolte? Ne nous y trompons pas: on touche ici à l’essentiel!

mh.miauton@bluewin.ch