Les expériences contemporaines de co-habitat en Région de Bruxelles-Capitale

Dernière mise à jour il y a 4 ans, le 18/03/2020

Genre de texte Scientifique (article/livre/rapport scientifique, thèse, mémoire, étude de marché,...)

Date de publication 2020

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Origine Internet / web

langue français

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RESUMES

Depuis quelques années, les projets de co-habitat fleurissent à Bruxelles, en particulier dans les quartiers centraux populaires, avec le soutien du milieu associatif et de certains acteurs politiques. Cet article interroge tout d’abord les raisons de leur succès. S’appuyant ensuite sur une enquête de terrain de deux ans auprès de 9 projets de co-habitat, il analyse également d’une part, les typologies architecturales qui leur sont attachées et les principes idéologiques qui les sous-tendent, et d’autre part, les usages qui en sont faits par les habitants. L’article met notamment en lumière les décalages qui peuvent exister entre les espoirs fondés dans un vocabulaire spatial supposé favoriser la création d’une vie communautaire et les usages et attentes des publics précaires particulièrement ciblés.


NOTES DE L’AUTEUR

L’article fait la synthèse d’une partie des résultats du projet de recherche Résibru, financé par Innoviris dans le cadre du programme Anticipate 2017-2020 et mené en partenariat avec l’IGEAT (ULB).


INTRODUCTION

Depuis le début des années 2000 et comme dans de nombreuses villes européennes, les expériences de co-habitat suscitent un engouement à Bruxelles. Le terme « co-habitat » regroupe les formes d’habitat présentant la double caractéristique suivante : une dimension participative plus ou moins assumée et plus ou moins encadrée, selon qu’elles sont issues d’un projet porté par des citoyens ou qu’elles émanent d’une volonté publique ou associative faisant du co-habitat un outil d’intégration sociale, et le partage de certains espaces de vie1. Ces projets proposent également un vocabulaire architectural spécifique, supposé favoriser la création d’une vie communautaire. Les projets d’habitats solidaires2, d’habitat groupé en autopromotion, d’habitat groupé locatif et de Community Land Trust3 en sont des exemples.

Présentées dans les discours politiques ou médiatiques comme innovantes, ces expériences renvoient en réalité à des modèles déjà anciens. En témoigne la communauté de l’Abreuvoir à Watermael-Boitsfort créée dès 1973 dans le cadre du mouvement Abbeyfield. En revanche, leur promotion par des associations telles qu’Habitat et Participation et des acteurs politiques est un phénomène plus récent. En est la preuve l’existence de nouveaux financements publics permettant le développement de partenariats entre associations, entrepreneurs privés, groupes de citoyens et parfois opérateurs publics. Supposées offrir des réponses à la crise bruxelloise du logement abordable [Dessouroux et al., 2016] et répondant à des aspirations d’habitat alternatives au modèle traditionnel, ces politiques visent autant des ménages et personnes vivant la précarité que des profils plus aisés.

Après avoir examiné l’ampleur du phénomène et précisé le contexte sociopolitique éclairant le succès actuel du co-habitat, cet article ambitionne de caractériser à la fois les typologies architecturales qui leur sont souvent attachées, et les principes idéologiques qui les sous-tendent. Il analyse ensuite leur réception par les publics concernés en montrant que ces typologies ne répondent pas toujours aux attentes et aux usages des Bruxellois concernés, en particulier des publics précaires pourtant spécifiquement ciblés par les acteurs associatifs et institutionnels. L’article s’appuie sur un matériau empirique récolté dans le cadre d’une enquête de terrain de deux ans menée dans neuf projets de co-habitat récents occupés ou en chantier dans la Région de Bruxelles-Capitale (RBC)4. Des entretiens avec des promoteurs, des concepteurs et des habitants de ces projets ainsi que des observations in situ des espaces et de leurs usages ont été réalisés pour saisir tant leurs logiques de conception et leurs formes architecturales que leur perception et leur appropriation par les publics concernés.


1. ÉTAT DES LIEUX DES PROJETS DE CO-HABITAT EN RBC

Qu’ils soient développés par des associations, des acteurs publics, des groupes de citoyens ou encore des promoteurs privés, la plupart des récents projets de co-habitat répertoriés en RBC au 1er octobre 20185 (soit 49 projets, regroupant près de 1000 logements) sont localisés dans la partie nord-ouest du territoire du canal (cf. carte). On peut y voir deux raisons. D’une part, cette zone abrite des quartiers populaires denses où la crise du logement abordable est particulièrement aigüe : alors que la croissance démographique est forte, l’offre de nouveaux logements, notamment sociaux, est toujours à la traîne [Dessouroux et al., 2016]. Pour y répondre, le tissu associatif local développe des réponses alternatives essentiellement le co-habitat. D’autre part, ce sont des quartiers où le prix du foncier est plus abordable qu’ailleurs permettant à des groupes de citoyens et à des associations tels que le Community Land Trust Brussels (CLTB) d’y acquérir des terrains et des logements. C’est également un facteur d’attrait pour des promoteurs privés qui peuvent spéculer sur le développement futur de ces quartiers fortement investis par les pouvoirs publics pour assurer la rentabilité économique de leurs projets. Le territoire du canal n’est toutefois pas réservé au co-habitat. Il attire aussi des logements publics à destination des revenus sociaux et moyens initiés dans le cadre du Plan Logement de la RBC (2004) et du programme Alliance Habitat (2013).

La grande majorité de ces projets cible des ménages précaires. Ceux-ci sont généralement sélectionnés sur la base de critères liés aux revenus et à la situation personnelle6, mais également de l’adhésion au projet communautaire. Il s’agit souvent d’habitats solidaires locatifs de moins de 15 unités initiés par des associations, généralement en partenariat avec une Agence Immobilière Sociale (AIS) et parfois avec une commune pour des publics spécifiques comme les familles monoparentales, les seniors isolés ou les personnes sans-abris. D’autres projets proposant jusqu’à 30 logements sont développés dans les logements sociaux gérés par la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB). Enfin, des projets de co-habitat pouvant dépasser 30 unités sont initiés par le CLTB.

Les autres projets répertoriés s’adressent à des ménages à revenus moyens, voire aisés, généralement recrutés par un mécanisme de cooptation par les résidents en place. Il s’agit principalement d’habitats groupés dits « en autopromotion », initiés et gérés par les habitants eux-mêmes, et de maisons Abbeyfield, des habitats groupés locatifs pour seniors. Des acteurs privés commerciaux commencent également à investir dans l’habitat groupé locatif, on pense en particulier à Urbani.

Quel que soit le public cible ou leur initiateur, la moitié des projets répertoriés s’adresse aux seniors. Cette frange de la population bruxelloise dont la cohorte actuelle est plus nombreuse, en meilleure santé et plus autonome que la précédente [Detilleux, 2015] représente un important enjeu de peuplement pour la RBC. L’ayant bien compris, des associations, des CPAS, des sociétés de logement et des communes développent des projets de co-habitat pour seniors comme alternative à la maison de repos. Il s’agit le plus souvent de projets intergénérationnels : habitats « kangourou », habitats solidaires intergénérationnels ou encore immeubles intergénérationnels avec constitution de « binômes » solidaires entre un senior et un habitant plus jeune7.


2. LES RAISONS DU SUCCÈS

Le co-habitat est souvent présenté comme une nouvelle façon d’habiter plus conviviale, solidaire, économique et écologique, et répondant ainsi partiellement à différentes « crises de la modernité » perçues comme saillantes en ce début de 21e siècle [Iorio, 2015]. Il valorise aussi la possibilité de conjuguer vie collective et respect de l’autonomie [Demonty, 2015]. D’autres facteurs peuvent encore expliquer l’intérêt qu’il suscite.


2.1 DES DIFFICULTÉS D’ACCÈS AU LOGEMENT

À Bruxelles comme ailleurs, les difficultés d’accès au logement se sont désormais étendues aux classes moyennes [Chauvel, 2006 ; Cusin, 2012]. Elles sont confrontées à des prix en forte hausse sur le marché du logement bruxellois, lui-même très polarisé entre les quartiers du cadran sud-est confortables et chers et les quartiers centraux où le logement est souvent de moindre qualité et parfois moins onéreux. Par ailleurs, les logements abordables manquent à Bruxelles [Dessouroux et al., 2016] en raison notamment d’une augmentation de l’offre moins rapide que la croissance démographique. Dans ce contexte, le co-habitat présente l’avantage d’offrir une plus grande surface d’espace de vie pour un coût similaire à ce que peut offrir le marché résidentiel classique. Certains projets de co-habitat émergeant d’initiatives privées et publiques participent de cette logique avant tout économique.
De plus, dans la société postfordiste marquée par une augmentation des incertitudes professionnelles, économiques et sociales [Castel, 2009], cette forme d’habitat semble pouvoir instituer un collectif sécurisant et constituer un outil favorisant le lien social. Selon certains auteurs, elle est supposée fonder une communauté de voisinage fournissant aux habitants « un cadre rassurant devenu nécessaire dans une société où vie au travail comme vie publique d’une manière générale sont perçues comme plus compliquées, plus incertaines, plus chargées de menaces » [Loudier-Malgouyres, 2013 : 35]. Le double objectif d’à la fois faciliter l’accès au logement et de favoriser l’intégration sociale en faisant communauté est notamment présent dans l’habitat solidaire déjà évoqué.


2.2 DES PARCOURS FAMILIAUX À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Le co-habitat offre également des réponses aux mutations contemporaines de la famille. Isolement des seniors, mais aussi retardement de l’émancipation des enfants, augmentation des divorces et des séparations conduisant à l’augmentation des familles monoparentales et des recompositions familiales [Bonvalet, 2005] contribuent à modifier le lien historique entre famille et propriété, favorisé par les pouvoirs publics au travers des politiques d’accès à la propriété depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale [Zimmer, 2002 ; Genestier, 2007 ; Bernard et Sohier, 2015]. Ce lien renvoie à l’idée d’un parcours résidentiel « promotionnel », l’accès à la propriété en étant l’accomplissement [Lévy, 1998]. Or, l’« apparition de nouvelles séquences familiales […] se traduit par des trajectoires résidentielles différentes, si bien qu’actuellement le parcours logement ne peut plus être représenté par un schéma linéaire et comporte de nombreux allers-retours entre le secteur locatif et celui de la propriété, en liaison avec les périodes de vie solitaire ou en couple » [Bonvalet, 2005 : 59]. Lors d’événements biographiques tels un divorce, le co-habitat paraît à la fois donner la possibilité d’éviter l’isolement et de fournir un « tremplin » vers une nouvelle stabilisation biographique et résidentielle. C’est en particulier le cas dans le secteur locatif. En témoigne Jacques8, 54 ans, qui après son divorce, la revente de son logement et une première expérience de colocation, s’est installé dans un appartement de l’Ilot Picard, un projet d’habitat groupé locatif à Molenbeek porté par la société immobilière Urbani : « Je ne me voyais pas dans un appartement tout seul. Aujourd’hui, je suis toujours tout seul dans un appartement, mais je ne me sens pas tout seul. »

Par ailleurs, grâce aux espaces communs qu’il propose, le co-habitat semble offrir une certaine flexibilité dans les usages permettant de « s’adapter aux évolutions de la vie du ménage » [Genestier, 2007 : 29]. Dans certains projets, comme l’habitat groupé Tivoli-EPOC, à Laeken, l’architecture même du bâtiment est conçue pour permettre une transformation des espaces et de leurs fonctions. C’est ce que paraît avoir compris le nouvel appel à projets lancé par le gouvernement bruxellois en 2019 visant à favoriser l’habitat évolutif, supposé mieux adapté aux différentes étapes de la vie, pour lutter contre les phénomènes de suroccupation et de sous-occupation.


2.3 UNE ACTION PUBLIQUE ATTENTIVE

Les exemples évoqués le montrent, le gouvernement de la RBC n’est pas insensible à ces projets. L’arrivée du parti écologiste au pouvoir en 2004 a sans nul doute donné une impulsion dans la recherche et le soutien de modèles alternatifs à côté d’une politique « traditionnelle » du logement qui, depuis 1989, vise avant tout à augmenter l’offre de logements publics en particulier dans les quartiers populaires de la première couronne9. Lorsqu’il reçoit la compétence du logement en 2009, le Secrétaire d’État écologiste Christos Doulkeridis lui donne de nouvelles directions. Même s’il encourage toujours la production de logements neufs il vise à faciliter l’exploitation et parfois la reconversion du bâti existant et soutient un certain nombre d’innovations juridiques pour lutter contre la vacance immobilière. En outre, toujours sous son impulsion, la refonte du Code bruxellois du logement en 2013 a permis la reconnaissance juridique de plusieurs formes alternatives d’habitat à dimension collective initiée par le mouvement associatif, leur apportant ainsi la légitimité nécessaire à leur développement et l’accès à des subsides [Bernard et Sohier, 2015]. On pense en particulier à l’habitat solidaire, au CLTB et à l’habitat intergénérationnel déjà évoqués. Un premier appel à projets « Habitat solidaire » est lancé en 2012, suivi, sous la nouvelle législature et sous la houlette de la ministre Céline Frémault (cdH), par d’autres : deux appels à projets, en 2015 et 2016, concernent les logements intergénérationnels ; l’appel à projets de 2017 est relatif aux étages vides au-dessus des commerces, tandis que celui de 2018 s’applique à des logements modulaires et légers. Le dernier appel lancé en début d’année 2019 s’adresse au « concept innovant de logement évolutif »10. Ces financements pour des projets spécifiques, dont l’enveloppe budgétaire annuelle avoisine le million d’euros, encouragent les formules caractérisées par une dimension collective et participative. Les opérateurs choisis constituent des partenariats composés d’associations, d’AIS et, plus récemment, de communes.

Comment comprendre cette attention politique à ces alternatives au logement traditionnel ? En premier lieu, les pouvoirs publics ont conscience du retard pris dans la réalisation des différents plans de construction de logements publics, dont le Plan Régional du logement de 2004 et l’Alliance-Habitat de 201311. Comme l’évoquent Marie-Laurence de Keersmaeker et Pol Zimmer [2019 : 376], la Région peine à répondre à la demande sociale en la matière qui concerne pour une bonne part des populations en situation socio-économique précaire. Des alternatives doivent donc être trouvées. Un autre constat est également posé : les logements publics créés jusqu’à présent l’ont été proportionnellement plus par le Fonds du logement et les AIS. La plus grande efficacité de ces deux opérateurs en matière de production de logement s’explique par plusieurs éléments : ils soutiennent des projets de plus petite ampleur situés sur le marché des logements déjà existants ; ils se voient confier des missions moins lourdes que celles confiées à l’acteur traditionnel qu’est la Société de Logements de la RBC : plutôt que de produire des logements nouveaux, ils octroient des prêts ou assurent la médiation entre le propriétaire et le locataire ; enfin leur logique de fonctionnement est plus souple12. S’appuyer sur des projets, des acteurs et des structures plus flexibles pour faire avancer le « dossier » logement est une des leçons tirées du passé.

D’autres raisons poussent encore les pouvoirs publics à soutenir ces initiatives dites innovantes. La porosité entre le monde associatif et le monde politique liée à la pilarisation structurant l’organisation de la société belge [Faniel et al., 2017] s’est sans doute renforcée avec l’arrivée de ministres écologistes d’abord et humaniste ensuite13 probablement plus sensibles au soutien de ce type d’initiatives. Il faut encore comprendre cette attention comme l’expression d’une inflexion de l’action publique de plus en plus soucieuse de s’allier à d’autres acteurs, entre autres associatifs, mais aussi issus du monde marchand, et de mettre à l’épreuve de nouveaux instruments, plus légers et moins engageants pour les pouvoirs publics qui bousculent les dispositifs classiques et testent de nouvelles idées et manières de faire [Lascoumes et Le Galès, 2005]. Ce faisant, on assisterait au renforcement d’une nouvelle forme de gouvernance urbaine moins verticale et plus flexible [Pinson, 2009]14. La gouvernance par le projet n’est par ailleurs pas dénuée d’un objectif incitatif, voire pédagogique : celui de donner envie et de donner des idées à d’autres acteurs publics, comme les communes ou encore les CPAS et de « faire bouger les lignes ». Cette dernière ambition est très présente dans le chef des initiateurs des appels à projets innovants de la ministre du Logement Céline Frémault : en les soutenant, il s’agit de « faire germer des idées », de favoriser les partenariats associatifs/publics et de questionner l’efficacité et l’ouverture à l’innovation des instruments de l’action publique existants tel le Règlement régional d’urbanisme.


3. UN VOCABULAIRE ARCHITECTURAL SPÉCIFIQUE

L’observation de ces projets laisse apparaître des éléments architecturaux similaires. Ceux-ci visent à articuler de manière forte trois niveaux de l’habitat : l’espace privatif, l’espace collectif et l’environnement immédiat. Cette relative standardisation architecturale semble être l’empreinte spatiale d’un mode d’habiter encouragé par leurs concepteurs et promoteurs qui, dans une critique contre le « repli individualiste » contemporain, revalorisent la vie en commun. Les espaces collectifs y revêtent une importance particulière parce qu’ils sont supposés permettre l’émergence d’un collectif d’échelle intermédiaire, entre la famille, le quartier et l’environnement plus large, constitué des ménages voisins. Mais les espaces privés dédiés à la famille et à l’individu, loin d’être délaissés, sont également travaillés : ils doivent pouvoir s’ouvrir ou se fermer selon les besoins, les projets et les humeurs des individus qui y habitent. Cette partie de l’article s’emploie à décrire ces différents types d’espaces et les liens qu’ils entretiennent.


3.1 ENTRE L’HABITAT ET SON ENVIRONNEMENT : UNE POROSITÉ CONTRÔLÉE

Les projets récents sont souvent conçus en îlot fermé. Cette fermeture matérielle de l’espace résidentiel permet de contrôler l’accès, jouant ainsi une fonction classique de clôture de l’habitat [Raymond, 1961]. Elle permet aussi de le délimiter clairement au sein du quartier. Selon Loudier-Malgouyres, la fermeture « importe plus pour ce qu’elle permet de réaliser, à savoir une distinction avec l’environnement immédiat » [2013 : 20] : l’espace résidentiel est matériellement et symboliquement distingué de l’environnement du quartier. Cet agencement en îlot fermé semble ainsi témoigner d’une pensée de l’architecture favorisant la communauté de voisinage.

Les espaces intermédiaires ou de transition comme les portails, halls d’entrée et cages d’escalier marquant le passage de la rue au logement [Flamand, 2010], sont habituellement conçus sous l’angle d’une porosité contrôlée. Ils ne doivent pas être confondus avec les espaces publics de proximité pour marquer clairement les limites de l’habitat et, dans quelques cas, permettre de maintenir à une certaine distance les nuisances sonores, visuelles ou sociales du quartier. Mais les concepteurs n’ont en général pas la volonté de le couper de son environnement résidentiel. Au contraire, ils cherchent à créer un certain degré d’ouverture, au minimum visuelle, par volonté de s’inscrire dans la dynamique du quartier ou par crainte que le projet ne soit perçu comme un « ghetto de riches » dans un environnement souvent plus populaire.

Au niveau architectural, cette volonté de porosité contrôlée se traduit par l’utilisation de certains éléments visant à produire un sentiment de transparence : palissade, sas, porte et baies vitrées qui permettent aux résidents de voir ce qu’il se passe à l’extérieur, comme aux passants d’avoir une vue sur l’intérieur de l’habitat. Elle peut aussi se traduire dans le choix des matériaux. Ainsi, de la même manière que l’équipe de recherche dirigée par Henri Raymond dans les années 1960 disait au sujet des pratiques de marquage dans l’habitat pavillonnaire qu’une « haie assure une défense rituelle maximale du chez-soi, mais [que] son caractère naturel empêche qu’elle ne constitue une affirmation agressive de sa volonté d’isolement » [Raymond, 2001 : 60], les concepteurs de l’habitat groupé L’Echappée à Laeken, par exemple, ont opté pour un portail d’entrée en bois, jugeant que ce matériau naturel rendait la séparation intérieur/extérieur plus « douce » qu’un élément équivalent en métal.

Enfin, de nombreux projets prévoient un accès à une salle polyvalente depuis la rue, souvent via une porte à front de rue. Les salles polyvalentes peuvent tantôt accueillir des moments collectifs festifs ou formels comme des repas communs et des réunions, tantôt être prêtées/louées à des associations ou à des habitants pour l’organisation de réunions (de famille ou autres) ou encore de fêtes d’anniversaire. Cet accès direct symbolise et matérialise la volonté de créer des liens avec le quartier, en facilitant l’entrée de visiteurs extérieurs et leur participation aux éventuelles activités organisées dans cet espace.

« […] vraiment, notre idée, c’est pas du tout d’être fermés, juste entre nous, mais vraiment d’être ouverts sur le quartier. D’ailleurs c’est pour ça qu’il y a deux entrées : y a l’entrée par le hall, l’ascenseur, l’escalier… et y a une entrée juste à front de rue […] avant la palissade de bois, y a une porte. Et donc on peut sonner directement à la salle. C’est pour ça qu’on l’a laissée ici, y a un accès à la route. Donc les gens peuvent nous voir » (Habitante de L’Échappée).
« Le lien avec l’extérieur était là dès le départ. Par exemple, on a exploité la possibilité architecturale de s’ouvrir au quartier. […] On a installé d’emblée un parlophone qui donne accès à la salle commune. Comme ça, les habitants ont la possibilité d’en faire un usage vis-à-vis de l’extérieur ou des utilisateurs externes » (Directeur d’Urbani, à propos de l’Ilot Picard).


3.2 DES ESPACES COMMUNS ET DE CIRCULATION POUR FAVORISER LES APPROPRIATIONS HABITANTES, LA CONSTRUCTION ET LE MAINTIEN DU COLLECTIF

Les espaces communs sont conçus pour favoriser les échanges entre habitants, la participation à la vie collective et l’ouverture de la sphère privée. Ainsi, ils se voient souvent attribuer une localisation stratégique. Le jardin, la cour ou le patio sont généralement placés au centre de l’îlot pour en faciliter l’accès depuis les logements individuels. Cette disposition permet aussi d’établir un lien visuel entre les logements individuels qui les entourent (cf. figure 1). Quant aux espaces communs intérieurs, comme la salle polyvalente ou la buanderie, ils sont habituellement placés au rez-de-chaussée, dans des lieux qui bordent les principaux espaces de circulation. Ils sont, en outre, régulièrement conçus pour favoriser la transparence, par l’utilisation de vitrages par exemple, de manière à augmenter le sentiment de coprésence et les contacts visuels entre habitants vaquant à leurs occupations.

Par ailleurs, les espaces de circulation, comme les halls, paliers ou passerelles, sont généralement conçus de façon à constituer aussi des espaces de séjour affectés à la vie communautaire. Elles ont de larges dimensions spatiales, pour favoriser les appropriations habitantes lesquelles se manifestent par des bavardages de voisinage, la décoration des lieux, la disposition d’objets personnels ou communs. Ainsi la coursive est un élément architectural régulièrement présent. Il s’agit d’un dispositif particulièrement chéri par les architectes modernistes et objet de débats quant à sa capacité à jouer ce rôle de support spatial de qualité pour des appropriations habitantes et des relations sociales de proximité [Le Corbusier, 1957 ; Hertzberger, 1991 ; Marchadour, 2015 ; Moley 2006 ; Schaut, 2018]. Les concepteurs de ces projets attendent de la coursive qu’elle puisse constituer un espace singulier d’entre-deux propice à la sociabilité réelle ou figurée, entre la sphère privée du logement et les espaces collectifs de circulation, mais aussi entre l’habitat et l’environnement résidentiel comme signe d’ouverture sur le quartier.

« L’architecture générale du bâtiment entend favoriser communications et contacts avec le voisinage. L’avant-projet architectural prévoit ainsi des coursives en lieu et place des couloirs intérieurs. Au-delà de leur évidente plus-value écologique, ces coursives ouvrent le bâtiment vers son environnement. Constituant une transition douce entre la rue et l’espace privé, elles favorisent le sentiment d’appartenance au quartier dans le chef des habitants de Brutopia » (extrait du texte de présentation de l’habitat groupé en autopromotion Brutopia disponible sur leur blog à l'adresse suivante : https://utopiabrussels.wordpress.com/the-project/).

Les appropriations des coursives permettent en effet aux résidents de marquer une forme d’extension de leur espace privatif dans cet espace d’entre-deux, mais aussi leur volonté qu’il constitue un espace commun convivial. « En plus d’en faire un espace de représentation, par la mise en place de plantes, d’étagères, les habitants en font réellement une “préentrée” » [Legrand, 2013 : 77] où le voisin est le bienvenu.


3.3 L’ESPACE PRIVÉ : UNE OUVERTURE MAITRISÉE

Enfin, dans la plupart des cas, la conception des espaces privés et de leurs articulations tant matérielles, visuelles qu’auditives avec les espaces communs vise à maintenir un équilibre entre cette ouverture de la sphère privée et la préservation de l’intimité de la famille et de l’individu. La vie « à soi » est aussi valorisée par les concepteurs de ces projets et leur vocabulaire architectural a l’ambition de développer « une forme de collectivité […] qui n’oblige pas, qui laisse libre du retrait dans la sphère privée de l’espace domestique » [Loudier-Malgouyres 2013 : 47].

« Je pense qu’ici, quand on ferme la porte, on ferme la porte. Ça me semblait assez clair pour tout le monde dans le groupe depuis le départ. Il y avait le collectif et puis l’individu, la famille. C’est pas une “communauté” quoi. C’est vraiment pouvoir moduler les deux suivant l’envie du moment. » (Habitante de L’Échappée).

Une forte attention est généralement portée à la qualité des propriétés isolantes des unités privatives sur le plan acoustique qui permet de disposer d’un logement pouvant jouer le rôle de refuge pour s’extraire du collectif quand le besoin s’en fait sentir. Il arrive aussi que les logements individuels soient articulés autour du jardin ou de la cour partagée par l’entremise de terrasses privatives. Dans ce cas, une attention particulière est portée à la séparation entre ces espaces privés et l’espace commun du jardin ou de la cour, en respectant notamment certaines distances entre les terrasses. Ces typologies spatiales ne remplacent donc pas la figure de la privacité, mais l'associent à celle du collectif.


4. UN MODÈLE D’HABITER À L’ÉPREUVE DE LA DIVERSITÉ DES PUBLICS

Cette architecture est fortement liée à l’idéologie qu’elle manifeste. Elle est portée par l’idée que la matérialité doit non seulement exprimer le projet de mode d’habiter qui en est à l’origine et qui est basé sur l’importance de la vie en commun, mais qu’elle doit aussi l’entretenir, le vivifier voire le créer s'il n’est pas la motivation première des résidents. Or l’enquête le montre, ce postulat spatialiste qui fait de l’espace le prescripteur de la nature des relations sociales qu’il abrite [Baudin, 2001 ; Schaut, 2018] ne résiste pas toujours à leur épreuve. L’espace est différemment approprié selon les profils socio-économiques des habitants et les raisons qui les ont poussés à y résider. Ces différences s’expriment dans leurs attentes résidentielles, leurs modes de vie, leurs routines quotidiennes et le jugement qu’ils portent sur le projet de co-habitat.


4.1 L’HABITAT GROUPÉ EN AUTOPROMOTION : UN IDÉAL D’HABITER CONCRÉTISÉ COLLECTIVEMENT

Pour le dire de façon un peu schématique, les projets de co-habitat initiés et gérés par des groupes de particuliers attirent une certaine frange des classes moyennes intellectuelles. Ils sont conçus et rejoints par des individus socialement proches, de par leurs ressources financières, leurs diplômes élevés et leurs professions qualifiées dans le secteur socioculturel, l’enseignement ou encore la recherche. Plus que de la nécessité économique, ces projets naissent du rassemblement d’individus et de ménages autour d’un idéal d’habiter partagé. En outre, étant propriétaires de leur logement, ils envisagent généralement l’habitat groupé comme un projet durable. Ils sont prêts à investir du temps et de l’énergie dans la concrétisation collective de l’idéal d’un habitat qui joue d’autres fonctions que celle de se loger : ces individus valorisent la communauté de voisinage souvent choisie et pouvant offrir une appartenance plus large que la cellule familiale, mais aussi constituer un lieu de ressources psychiques, sociales et matérielles non régulé par les institutions de la société globale. Cette communauté se construit principalement dans les espaces communs, au travers de moments collectifs dédiés à l’aménagement ou la décoration de la salle polyvalente, l’entretien du jardin, la gestion de l’ensemble, lors de repas collectifs mensuels ou bien encore au travers de projets tels l’accueil de migrants. Ces habitants partagent aussi souvent des valeurs liées à la tolérance, l’écologie et la participation citoyenne, et certaines dispositions sociales comme un goût pour l’ancrage local extrafamilial qui se traduit par l’engagement dans le tissu associatif du quartier [Bidou, 1984]. Le groupe d’habitants de L’Echappée, par exemple, s’est formé à partir de leur participation à des Groupes d’Achat Solidaire de l’Agriculture Paysanne (GASAP). En outre, plusieurs d’entre eux étaient déjà engagés dans des projets menés par des associations du quartier et d’autres ont pris part à la vie associative locale une fois installés dans l’habitat groupé. Le public type des habitats groupés autopromus est ainsi particulièrement en phase avec le principe d’ouverture des espaces privés du logement et d’interaction positive avec le voisinage communément associé au co-habitat [Bacqué et Vermeersch, 2007 ; Tummers, 2016].


4.2 LE CO-HABITAT POUR DES PUBLICS PRÉCAIRES : UN CHOIX SOUVENT SOUS CONTRAINTE

Les projets initiés par des associations ou par les opérateurs publics (communes, CPAS, SLRB) tels Versailles Senior ou Industrie 79 ciblent pour leur part des individus et des ménages beaucoup moins dotés économiquement, plus diversifiés culturellement et rencontrant des difficultés pour se loger dans de bonnes conditions matérielles. En outre, la précarité des publics ciblés se situe bien souvent à l’intersection de différentes problématiques : chômage de longue durée, ruptures biographiques, troubles de la santé mentale, exil, périodes d’errance, mauvaise maîtrise du français… De fortes contraintes pèsent souvent sur ces individus et peuvent constituer des obstacles à leur participation au projet d’habitat solidaire, d’habitat intergénérationnel ou encore de CLT. Le statut de locataire qui concerne la plupart de ces projets à l’exception de ceux portés par le CLTB et l’anticipation d’un possible déménagement vers un autre logement semblent limiter aussi leur engagement [Dal et al., 2016]. Souvent il existe un décalage entre les attentes initiales des initiateurs de ces projets qui veulent insuffler un mode d’habiter communautaire au nom de ce qu’il serait moins onéreux et le plus à même de créer du lien social, et celles des habitants qui voient dans ces projets surtout une opportunité d’accéder à un coût financier raisonnable à un logement décent et spacieux notamment grâce aux espaces communs. D’un côté, les porteurs du projet espèrent l’émergence d’une communauté de voisins constituant un lieu de ressources matérielles et sociales leur permettant de répondre à certaines difficultés quotidiennes ; de l’autre, ces individus arrivés dans le co-habitat souvent après une séquence résidentielle et biographique instable voire chaotique, semblent accorder plus d’importance au besoin de « souffler » ou de « se reconstruire » dans l’intimité d’un logement privé confortable qu’à la construction d’un collectif et aux développements de projets communs.

« J’avais besoin, après tout ce qu’on avait vécu, que chacun ait sa chambre, notre chez nous. […] C’était important d’être seule quand je referme ma porte, d’être autonome, d’être chez moi et de gérer moi-même les choses. Et surtout, quand on ne connait pas spécialement les gens, que moi aussi j’ai des mauvais jours, ça peut amener des tensions, des conflits… Quand on a eu un vécu avant compliqué, on sait ce qu’on veut ! Moi je voulais bien créer des projets solidaires, mais être chez moi, dans mon appartement » (Ancienne habitante de Lemmens).

Le jardin et les pièces de vie communes sont alors sous-exploités ou bien utilisés pour des activités privées. Il arrive que des résidents hésitent à pousser la porte de la salle commune, comme Maria, 62 ans, habitante d’un habitat solidaire qui dit avoir « peur de déranger les filles quand elles mangent là avec des amis ». Plus encore, certains cherchent à protéger leur intimité par une séparation claire de leur espace privé avec les espaces communs. D’autres, néanmoins, sont intéressés par la dimension collective et investissent les espaces communs dans cette perspective, par exemple en y aménageant un coin bibliothèque, une salle d’étude pour les enfants ou en y organisant des activités culturelles ouvertes aux autres habitants. Mais les multiples contraintes qui pèsent sur leur quotidien ou sur celui des voisins, certaines difficultés communicationnelles ou même relationnelles liées à la diversité générationnelle et culturelle dans ces projets, ou encore le désintérêt des autres habitants peuvent finir par user cet engagement pour le collectif.

Face à de telles difficultés, auxquelles il faut adjoindre la faiblesse des moyens financiers mis au service de l’accompagnement social des habitants, les associations revoient parfois leurs ambitions à la baisse. Dans un habitat solidaire à Anderlecht, par exemple, les associations partenaires ont remis en location après 2 ans l’appartement initialement prévu comme espace commun et ont décidé de privilégier la résolution de problèmes individuels à la dynamique du commun. Ainsi, elles en viennent à une conception moins engageante de ce que devrait être un « bon voisinage », comme l’explique l’une des accompagnatrices du projet :

« Au départ on avait pensé qu’elles devaient toutes s’entendre ensemble. Donc on organisait des réunions… Là aussi, pour les réunions, c’était pas facile parce qu’elles avaient souvent leurs enfants avec elles, où elles avaient formation… C’était compliqué de trouver le bon moment avec elles. […] On a décidé de ne pas tout à fait laisser tomber, et de faire au moins une réunion par an. Mais quand on installe quelqu’un, on la présente aux voisines… »


CONCLUSION : PENSER LA DIVERSITÉ DES MODES D’HABITER EN SITUATION

Les expériences récentes de co-habitat reposent sur un vocabulaire spatial dans lequel leurs initiateurs fondent l’espoir qu’il puisse favoriser une nouvelle façon d’habiter où le logement est un lieu de ressources sociales et psychiques15. Il se traduit par la conception d’espaces communs centraux, autour desquels s’articulent des espaces privatifs de qualité et des espaces intermédiaires favorisant les échanges entre voisins, mais aussi avec le quartier. Ces formes spatiales et ce mode d’habiter correspondent aux représentations de l’habitat et des pratiques de voisinage portées par la majorité des initiateurs de ces projets, qu’ils soient issus du monde associatif, du secteur public, du monde privé marchand ou de simples citoyens. Au-delà de logiques d’action différentes, ces acteurs paraissent partager un imaginaire commun du « bon habiter », peut-être hérité des luttes urbaines des années 1970-1980, valorisant un habitat convivial et redonnant place à la valeur d’usage contre une vision techniciste de l’urbanisme [Pattaroni, 2011]. Il resterait à étudier plus finement les modalités de circulation, d’importation et d’exportation de cet imaginaire parmi les acteurs concernés. Pourtant, on l’a vu, ces projets ne répondent pas forcément aux attentes ni aux besoins de toutes les populations bruxelloises concernées. On peut dès lors se demander si les moyens économiques et humains investis pour la création d’espaces communs et le développement de projets collectifs dans les habitats solidaires notamment ne trouveraient pas plus d’utilité ailleurs, par exemple dans l’accompagnement social des habitants. Les acteurs associatifs eux-mêmes expriment régulièrement leur déception voire leur découragement face à des projets qui « ne prennent pas » et questionnent parfois leur pertinence pour leurs publics. La prise en compte de la spécificité de ces derniers publics et de la diversité de leurs modes d’habiter semble en tous cas nécessaire pour développer une offre de logement répondant à des besoins qui peuvent revêtir une dimension plus individuelle. Cela passe par leur intéressement dès l’entame des projets et par le refus de lier de manière mécanique vocabulaire architectural et projet social.

Plus largement, les constats posés dans l’article amènent aussi à s’interroger sur l’action publique bruxelloise menée en matière de logement, plus spécifiquement sur la place qu’y prennent les innovations, sur leur articulation avec les instruments plus centraux et traditionnels comme l’offre de logement social et sur leur fragilité, puisqu’elles n’existent pour l’instant qu’avec l’aide de subsides ponctuels. À voir si le nouveau gouvernement bruxellois aura à cœur d’en faire un objet de débat et d’action.

Merci à Pol Zimmer et Nicolas Bernard pour nous avoir éclairés sur la politique régionale du logement. Merci à Pierre Marissal pour le travail cartographique.


NOTES

• 1 La co-habitat (cohousing en anglais) se différencie ainsi du coliving qui définit une forme d’habit (...)
• 2 L’habitat solidaire est défini dans le code du logement (2013) comme « un logement sous-tendu par u (...)
• 3 Le Community Land Trust est un modèle d’organisation non marchande originaire des pays anglo-saxons (...)
• 4 Il s’agit des projets d’habitat solidaire Lemmens (Anderlecht), Casa Viva (Bruxelles-Ville), Maison (...)
• 5 Pour établir ce répertoire (non exhaustif), nous avons retenu les projets renvoyant à des réalisati (...)
• 6 Composition du ménage, isolement, difficultés conjugales...
• 7 L’ASBL 1Toit2Ages s’est spécialisée dans ce type de projet.
• 8 Comme dans la suite de l’article, nous utilisons un prénom d’emprunt.
• 9 « En terme de spatialisation, les cadrans nord et ouest de la Région concentrent la grande majorité (...)
• 10 Voir https://logement.brussels.
• 11 Le dernier monitoring des logements publics paru en janvier 2019 note que, 15 ans après, le PRL a a (...)
• 12 Un dernier constat peut également être fait : le taux de réalisation de logements publics acquisiti (...)
• 13 Une sensibilité plus grande aux associations ciblant des populations aux besoins spécifiques comme (...)
• 14 Ce n’est pas le lieu ici de critiquer ces évolutions en particulier en ce qui concerne les associat (...)
• 15 Dans le chef des promoteurs immobiliers, l’argument est également commercial, puisque cette forme d (...)


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Date de publication 2020

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RESUMES

Depuis quelques années, les projets de co-habitat fleurissent à Bruxelles, en particulier dans les quartiers centraux populaires, avec le soutien du milieu associatif et de certains acteurs politiques. Cet article interroge tout d’abord les raisons de leur succès. S’appuyant ensuite sur une enquête de terrain de deux ans auprès de 9 projets de co-habitat, il analyse également d’une part, les typologies architecturales qui leur sont attachées et les principes idéologiques qui les sous-tendent, et d’autre part, les usages qui en sont faits par les habitants. L’article met notamment en lumière les décalages qui peuvent exister entre les espoirs fondés dans un vocabulaire spatial supposé favoriser la création d’une vie communautaire et les usages et attentes des publics précaires particulièrement ciblés.


NOTES DE L’AUTEUR

L’article fait la synthèse d’une partie des résultats du projet de recherche Résibru, financé par Innoviris dans le cadre du programme Anticipate 2017-2020 et mené en partenariat avec l’IGEAT (ULB).


INTRODUCTION

Depuis le début des années 2000 et comme dans de nombreuses villes européennes, les expériences de co-habitat suscitent un engouement à Bruxelles. Le terme « co-habitat » regroupe les formes d’habitat présentant la double caractéristique suivante : une dimension participative plus ou moins assumée et plus ou moins encadrée, selon qu’elles sont issues d’un projet porté par des citoyens ou qu’elles émanent d’une volonté publique ou associative faisant du co-habitat un outil d’intégration sociale, et le partage de certains espaces de vie1. Ces projets proposent également un vocabulaire architectural spécifique, supposé favoriser la création d’une vie communautaire. Les projets d’habitats solidaires2, d’habitat groupé en autopromotion, d’habitat groupé locatif et de Community Land Trust3 en sont des exemples.

Présentées dans les discours politiques ou médiatiques comme innovantes, ces expériences renvoient en réalité à des modèles déjà anciens. En témoigne la communauté de l’Abreuvoir à Watermael-Boitsfort créée dès 1973 dans le cadre du mouvement Abbeyfield. En revanche, leur promotion par des associations telles qu’Habitat et Participation et des acteurs politiques est un phénomène plus récent. En est la preuve l’existence de nouveaux financements publics permettant le développement de partenariats entre associations, entrepreneurs privés, groupes de citoyens et parfois opérateurs publics. Supposées offrir des réponses à la crise bruxelloise du logement abordable [Dessouroux et al., 2016] et répondant à des aspirations d’habitat alternatives au modèle traditionnel, ces politiques visent autant des ménages et personnes vivant la précarité que des profils plus aisés.

Après avoir examiné l’ampleur du phénomène et précisé le contexte sociopolitique éclairant le succès actuel du co-habitat, cet article ambitionne de caractériser à la fois les typologies architecturales qui leur sont souvent attachées, et les principes idéologiques qui les sous-tendent. Il analyse ensuite leur réception par les publics concernés en montrant que ces typologies ne répondent pas toujours aux attentes et aux usages des Bruxellois concernés, en particulier des publics précaires pourtant spécifiquement ciblés par les acteurs associatifs et institutionnels. L’article s’appuie sur un matériau empirique récolté dans le cadre d’une enquête de terrain de deux ans menée dans neuf projets de co-habitat récents occupés ou en chantier dans la Région de Bruxelles-Capitale (RBC)4. Des entretiens avec des promoteurs, des concepteurs et des habitants de ces projets ainsi que des observations in situ des espaces et de leurs usages ont été réalisés pour saisir tant leurs logiques de conception et leurs formes architecturales que leur perception et leur appropriation par les publics concernés.


1. ÉTAT DES LIEUX DES PROJETS DE CO-HABITAT EN RBC

Qu’ils soient développés par des associations, des acteurs publics, des groupes de citoyens ou encore des promoteurs privés, la plupart des récents projets de co-habitat répertoriés en RBC au 1er octobre 20185 (soit 49 projets, regroupant près de 1000 logements) sont localisés dans la partie nord-ouest du territoire du canal (cf. carte). On peut y voir deux raisons. D’une part, cette zone abrite des quartiers populaires denses où la crise du logement abordable est particulièrement aigüe : alors que la croissance démographique est forte, l’offre de nouveaux logements, notamment sociaux, est toujours à la traîne [Dessouroux et al., 2016]. Pour y répondre, le tissu associatif local développe des réponses alternatives essentiellement le co-habitat. D’autre part, ce sont des quartiers où le prix du foncier est plus abordable qu’ailleurs permettant à des groupes de citoyens et à des associations tels que le Community Land Trust Brussels (CLTB) d’y acquérir des terrains et des logements. C’est également un facteur d’attrait pour des promoteurs privés qui peuvent spéculer sur le développement futur de ces quartiers fortement investis par les pouvoirs publics pour assurer la rentabilité économique de leurs projets. Le territoire du canal n’est toutefois pas réservé au co-habitat. Il attire aussi des logements publics à destination des revenus sociaux et moyens initiés dans le cadre du Plan Logement de la RBC (2004) et du programme Alliance Habitat (2013).

La grande majorité de ces projets cible des ménages précaires. Ceux-ci sont généralement sélectionnés sur la base de critères liés aux revenus et à la situation personnelle6, mais également de l’adhésion au projet communautaire. Il s’agit souvent d’habitats solidaires locatifs de moins de 15 unités initiés par des associations, généralement en partenariat avec une Agence Immobilière Sociale (AIS) et parfois avec une commune pour des publics spécifiques comme les familles monoparentales, les seniors isolés ou les personnes sans-abris. D’autres projets proposant jusqu’à 30 logements sont développés dans les logements sociaux gérés par la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB). Enfin, des projets de co-habitat pouvant dépasser 30 unités sont initiés par le CLTB.

Les autres projets répertoriés s’adressent à des ménages à revenus moyens, voire aisés, généralement recrutés par un mécanisme de cooptation par les résidents en place. Il s’agit principalement d’habitats groupés dits « en autopromotion », initiés et gérés par les habitants eux-mêmes, et de maisons Abbeyfield, des habitats groupés locatifs pour seniors. Des acteurs privés commerciaux commencent également à investir dans l’habitat groupé locatif, on pense en particulier à Urbani.

Quel que soit le public cible ou leur initiateur, la moitié des projets répertoriés s’adresse aux seniors. Cette frange de la population bruxelloise dont la cohorte actuelle est plus nombreuse, en meilleure santé et plus autonome que la précédente [Detilleux, 2015] représente un important enjeu de peuplement pour la RBC. L’ayant bien compris, des associations, des CPAS, des sociétés de logement et des communes développent des projets de co-habitat pour seniors comme alternative à la maison de repos. Il s’agit le plus souvent de projets intergénérationnels : habitats « kangourou », habitats solidaires intergénérationnels ou encore immeubles intergénérationnels avec constitution de « binômes » solidaires entre un senior et un habitant plus jeune7.


2. LES RAISONS DU SUCCÈS

Le co-habitat est souvent présenté comme une nouvelle façon d’habiter plus conviviale, solidaire, économique et écologique, et répondant ainsi partiellement à différentes « crises de la modernité » perçues comme saillantes en ce début de 21e siècle [Iorio, 2015]. Il valorise aussi la possibilité de conjuguer vie collective et respect de l’autonomie [Demonty, 2015]. D’autres facteurs peuvent encore expliquer l’intérêt qu’il suscite.


2.1 DES DIFFICULTÉS D’ACCÈS AU LOGEMENT

À Bruxelles comme ailleurs, les difficultés d’accès au logement se sont désormais étendues aux classes moyennes [Chauvel, 2006 ; Cusin, 2012]. Elles sont confrontées à des prix en forte hausse sur le marché du logement bruxellois, lui-même très polarisé entre les quartiers du cadran sud-est confortables et chers et les quartiers centraux où le logement est souvent de moindre qualité et parfois moins onéreux. Par ailleurs, les logements abordables manquent à Bruxelles [Dessouroux et al., 2016] en raison notamment d’une augmentation de l’offre moins rapide que la croissance démographique. Dans ce contexte, le co-habitat présente l’avantage d’offrir une plus grande surface d’espace de vie pour un coût similaire à ce que peut offrir le marché résidentiel classique. Certains projets de co-habitat émergeant d’initiatives privées et publiques participent de cette logique avant tout économique.
De plus, dans la société postfordiste marquée par une augmentation des incertitudes professionnelles, économiques et sociales [Castel, 2009], cette forme d’habitat semble pouvoir instituer un collectif sécurisant et constituer un outil favorisant le lien social. Selon certains auteurs, elle est supposée fonder une communauté de voisinage fournissant aux habitants « un cadre rassurant devenu nécessaire dans une société où vie au travail comme vie publique d’une manière générale sont perçues comme plus compliquées, plus incertaines, plus chargées de menaces » [Loudier-Malgouyres, 2013 : 35]. Le double objectif d’à la fois faciliter l’accès au logement et de favoriser l’intégration sociale en faisant communauté est notamment présent dans l’habitat solidaire déjà évoqué.


2.2 DES PARCOURS FAMILIAUX À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Le co-habitat offre également des réponses aux mutations contemporaines de la famille. Isolement des seniors, mais aussi retardement de l’émancipation des enfants, augmentation des divorces et des séparations conduisant à l’augmentation des familles monoparentales et des recompositions familiales [Bonvalet, 2005] contribuent à modifier le lien historique entre famille et propriété, favorisé par les pouvoirs publics au travers des politiques d’accès à la propriété depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale [Zimmer, 2002 ; Genestier, 2007 ; Bernard et Sohier, 2015]. Ce lien renvoie à l’idée d’un parcours résidentiel « promotionnel », l’accès à la propriété en étant l’accomplissement [Lévy, 1998]. Or, l’« apparition de nouvelles séquences familiales […] se traduit par des trajectoires résidentielles différentes, si bien qu’actuellement le parcours logement ne peut plus être représenté par un schéma linéaire et comporte de nombreux allers-retours entre le secteur locatif et celui de la propriété, en liaison avec les périodes de vie solitaire ou en couple » [Bonvalet, 2005 : 59]. Lors d’événements biographiques tels un divorce, le co-habitat paraît à la fois donner la possibilité d’éviter l’isolement et de fournir un « tremplin » vers une nouvelle stabilisation biographique et résidentielle. C’est en particulier le cas dans le secteur locatif. En témoigne Jacques8, 54 ans, qui après son divorce, la revente de son logement et une première expérience de colocation, s’est installé dans un appartement de l’Ilot Picard, un projet d’habitat groupé locatif à Molenbeek porté par la société immobilière Urbani : « Je ne me voyais pas dans un appartement tout seul. Aujourd’hui, je suis toujours tout seul dans un appartement, mais je ne me sens pas tout seul. »

Par ailleurs, grâce aux espaces communs qu’il propose, le co-habitat semble offrir une certaine flexibilité dans les usages permettant de « s’adapter aux évolutions de la vie du ménage » [Genestier, 2007 : 29]. Dans certains projets, comme l’habitat groupé Tivoli-EPOC, à Laeken, l’architecture même du bâtiment est conçue pour permettre une transformation des espaces et de leurs fonctions. C’est ce que paraît avoir compris le nouvel appel à projets lancé par le gouvernement bruxellois en 2019 visant à favoriser l’habitat évolutif, supposé mieux adapté aux différentes étapes de la vie, pour lutter contre les phénomènes de suroccupation et de sous-occupation.


2.3 UNE ACTION PUBLIQUE ATTENTIVE

Les exemples évoqués le montrent, le gouvernement de la RBC n’est pas insensible à ces projets. L’arrivée du parti écologiste au pouvoir en 2004 a sans nul doute donné une impulsion dans la recherche et le soutien de modèles alternatifs à côté d’une politique « traditionnelle » du logement qui, depuis 1989, vise avant tout à augmenter l’offre de logements publics en particulier dans les quartiers populaires de la première couronne9. Lorsqu’il reçoit la compétence du logement en 2009, le Secrétaire d’État écologiste Christos Doulkeridis lui donne de nouvelles directions. Même s’il encourage toujours la production de logements neufs il vise à faciliter l’exploitation et parfois la reconversion du bâti existant et soutient un certain nombre d’innovations juridiques pour lutter contre la vacance immobilière. En outre, toujours sous son impulsion, la refonte du Code bruxellois du logement en 2013 a permis la reconnaissance juridique de plusieurs formes alternatives d’habitat à dimension collective initiée par le mouvement associatif, leur apportant ainsi la légitimité nécessaire à leur développement et l’accès à des subsides [Bernard et Sohier, 2015]. On pense en particulier à l’habitat solidaire, au CLTB et à l’habitat intergénérationnel déjà évoqués. Un premier appel à projets « Habitat solidaire » est lancé en 2012, suivi, sous la nouvelle législature et sous la houlette de la ministre Céline Frémault (cdH), par d’autres : deux appels à projets, en 2015 et 2016, concernent les logements intergénérationnels ; l’appel à projets de 2017 est relatif aux étages vides au-dessus des commerces, tandis que celui de 2018 s’applique à des logements modulaires et légers. Le dernier appel lancé en début d’année 2019 s’adresse au « concept innovant de logement évolutif »10. Ces financements pour des projets spécifiques, dont l’enveloppe budgétaire annuelle avoisine le million d’euros, encouragent les formules caractérisées par une dimension collective et participative. Les opérateurs choisis constituent des partenariats composés d’associations, d’AIS et, plus récemment, de communes.

Comment comprendre cette attention politique à ces alternatives au logement traditionnel ? En premier lieu, les pouvoirs publics ont conscience du retard pris dans la réalisation des différents plans de construction de logements publics, dont le Plan Régional du logement de 2004 et l’Alliance-Habitat de 201311. Comme l’évoquent Marie-Laurence de Keersmaeker et Pol Zimmer [2019 : 376], la Région peine à répondre à la demande sociale en la matière qui concerne pour une bonne part des populations en situation socio-économique précaire. Des alternatives doivent donc être trouvées. Un autre constat est également posé : les logements publics créés jusqu’à présent l’ont été proportionnellement plus par le Fonds du logement et les AIS. La plus grande efficacité de ces deux opérateurs en matière de production de logement s’explique par plusieurs éléments : ils soutiennent des projets de plus petite ampleur situés sur le marché des logements déjà existants ; ils se voient confier des missions moins lourdes que celles confiées à l’acteur traditionnel qu’est la Société de Logements de la RBC : plutôt que de produire des logements nouveaux, ils octroient des prêts ou assurent la médiation entre le propriétaire et le locataire ; enfin leur logique de fonctionnement est plus souple12. S’appuyer sur des projets, des acteurs et des structures plus flexibles pour faire avancer le « dossier » logement est une des leçons tirées du passé.

D’autres raisons poussent encore les pouvoirs publics à soutenir ces initiatives dites innovantes. La porosité entre le monde associatif et le monde politique liée à la pilarisation structurant l’organisation de la société belge [Faniel et al., 2017] s’est sans doute renforcée avec l’arrivée de ministres écologistes d’abord et humaniste ensuite13 probablement plus sensibles au soutien de ce type d’initiatives. Il faut encore comprendre cette attention comme l’expression d’une inflexion de l’action publique de plus en plus soucieuse de s’allier à d’autres acteurs, entre autres associatifs, mais aussi issus du monde marchand, et de mettre à l’épreuve de nouveaux instruments, plus légers et moins engageants pour les pouvoirs publics qui bousculent les dispositifs classiques et testent de nouvelles idées et manières de faire [Lascoumes et Le Galès, 2005]. Ce faisant, on assisterait au renforcement d’une nouvelle forme de gouvernance urbaine moins verticale et plus flexible [Pinson, 2009]14. La gouvernance par le projet n’est par ailleurs pas dénuée d’un objectif incitatif, voire pédagogique : celui de donner envie et de donner des idées à d’autres acteurs publics, comme les communes ou encore les CPAS et de « faire bouger les lignes ». Cette dernière ambition est très présente dans le chef des initiateurs des appels à projets innovants de la ministre du Logement Céline Frémault : en les soutenant, il s’agit de « faire germer des idées », de favoriser les partenariats associatifs/publics et de questionner l’efficacité et l’ouverture à l’innovation des instruments de l’action publique existants tel le Règlement régional d’urbanisme.


3. UN VOCABULAIRE ARCHITECTURAL SPÉCIFIQUE

L’observation de ces projets laisse apparaître des éléments architecturaux similaires. Ceux-ci visent à articuler de manière forte trois niveaux de l’habitat : l’espace privatif, l’espace collectif et l’environnement immédiat. Cette relative standardisation architecturale semble être l’empreinte spatiale d’un mode d’habiter encouragé par leurs concepteurs et promoteurs qui, dans une critique contre le « repli individualiste » contemporain, revalorisent la vie en commun. Les espaces collectifs y revêtent une importance particulière parce qu’ils sont supposés permettre l’émergence d’un collectif d’échelle intermédiaire, entre la famille, le quartier et l’environnement plus large, constitué des ménages voisins. Mais les espaces privés dédiés à la famille et à l’individu, loin d’être délaissés, sont également travaillés : ils doivent pouvoir s’ouvrir ou se fermer selon les besoins, les projets et les humeurs des individus qui y habitent. Cette partie de l’article s’emploie à décrire ces différents types d’espaces et les liens qu’ils entretiennent.


3.1 ENTRE L’HABITAT ET SON ENVIRONNEMENT : UNE POROSITÉ CONTRÔLÉE

Les projets récents sont souvent conçus en îlot fermé. Cette fermeture matérielle de l’espace résidentiel permet de contrôler l’accès, jouant ainsi une fonction classique de clôture de l’habitat [Raymond, 1961]. Elle permet aussi de le délimiter clairement au sein du quartier. Selon Loudier-Malgouyres, la fermeture « importe plus pour ce qu’elle permet de réaliser, à savoir une distinction avec l’environnement immédiat » [2013 : 20] : l’espace résidentiel est matériellement et symboliquement distingué de l’environnement du quartier. Cet agencement en îlot fermé semble ainsi témoigner d’une pensée de l’architecture favorisant la communauté de voisinage.

Les espaces intermédiaires ou de transition comme les portails, halls d’entrée et cages d’escalier marquant le passage de la rue au logement [Flamand, 2010], sont habituellement conçus sous l’angle d’une porosité contrôlée. Ils ne doivent pas être confondus avec les espaces publics de proximité pour marquer clairement les limites de l’habitat et, dans quelques cas, permettre de maintenir à une certaine distance les nuisances sonores, visuelles ou sociales du quartier. Mais les concepteurs n’ont en général pas la volonté de le couper de son environnement résidentiel. Au contraire, ils cherchent à créer un certain degré d’ouverture, au minimum visuelle, par volonté de s’inscrire dans la dynamique du quartier ou par crainte que le projet ne soit perçu comme un « ghetto de riches » dans un environnement souvent plus populaire.

Au niveau architectural, cette volonté de porosité contrôlée se traduit par l’utilisation de certains éléments visant à produire un sentiment de transparence : palissade, sas, porte et baies vitrées qui permettent aux résidents de voir ce qu’il se passe à l’extérieur, comme aux passants d’avoir une vue sur l’intérieur de l’habitat. Elle peut aussi se traduire dans le choix des matériaux. Ainsi, de la même manière que l’équipe de recherche dirigée par Henri Raymond dans les années 1960 disait au sujet des pratiques de marquage dans l’habitat pavillonnaire qu’une « haie assure une défense rituelle maximale du chez-soi, mais [que] son caractère naturel empêche qu’elle ne constitue une affirmation agressive de sa volonté d’isolement » [Raymond, 2001 : 60], les concepteurs de l’habitat groupé L’Echappée à Laeken, par exemple, ont opté pour un portail d’entrée en bois, jugeant que ce matériau naturel rendait la séparation intérieur/extérieur plus « douce » qu’un élément équivalent en métal.

Enfin, de nombreux projets prévoient un accès à une salle polyvalente depuis la rue, souvent via une porte à front de rue. Les salles polyvalentes peuvent tantôt accueillir des moments collectifs festifs ou formels comme des repas communs et des réunions, tantôt être prêtées/louées à des associations ou à des habitants pour l’organisation de réunions (de famille ou autres) ou encore de fêtes d’anniversaire. Cet accès direct symbolise et matérialise la volonté de créer des liens avec le quartier, en facilitant l’entrée de visiteurs extérieurs et leur participation aux éventuelles activités organisées dans cet espace.

« […] vraiment, notre idée, c’est pas du tout d’être fermés, juste entre nous, mais vraiment d’être ouverts sur le quartier. D’ailleurs c’est pour ça qu’il y a deux entrées : y a l’entrée par le hall, l’ascenseur, l’escalier… et y a une entrée juste à front de rue […] avant la palissade de bois, y a une porte. Et donc on peut sonner directement à la salle. C’est pour ça qu’on l’a laissée ici, y a un accès à la route. Donc les gens peuvent nous voir » (Habitante de L’Échappée).
« Le lien avec l’extérieur était là dès le départ. Par exemple, on a exploité la possibilité architecturale de s’ouvrir au quartier. […] On a installé d’emblée un parlophone qui donne accès à la salle commune. Comme ça, les habitants ont la possibilité d’en faire un usage vis-à-vis de l’extérieur ou des utilisateurs externes » (Directeur d’Urbani, à propos de l’Ilot Picard).


3.2 DES ESPACES COMMUNS ET DE CIRCULATION POUR FAVORISER LES APPROPRIATIONS HABITANTES, LA CONSTRUCTION ET LE MAINTIEN DU COLLECTIF

Les espaces communs sont conçus pour favoriser les échanges entre habitants, la participation à la vie collective et l’ouverture de la sphère privée. Ainsi, ils se voient souvent attribuer une localisation stratégique. Le jardin, la cour ou le patio sont généralement placés au centre de l’îlot pour en faciliter l’accès depuis les logements individuels. Cette disposition permet aussi d’établir un lien visuel entre les logements individuels qui les entourent (cf. figure 1). Quant aux espaces communs intérieurs, comme la salle polyvalente ou la buanderie, ils sont habituellement placés au rez-de-chaussée, dans des lieux qui bordent les principaux espaces de circulation. Ils sont, en outre, régulièrement conçus pour favoriser la transparence, par l’utilisation de vitrages par exemple, de manière à augmenter le sentiment de coprésence et les contacts visuels entre habitants vaquant à leurs occupations.

Par ailleurs, les espaces de circulation, comme les halls, paliers ou passerelles, sont généralement conçus de façon à constituer aussi des espaces de séjour affectés à la vie communautaire. Elles ont de larges dimensions spatiales, pour favoriser les appropriations habitantes lesquelles se manifestent par des bavardages de voisinage, la décoration des lieux, la disposition d’objets personnels ou communs. Ainsi la coursive est un élément architectural régulièrement présent. Il s’agit d’un dispositif particulièrement chéri par les architectes modernistes et objet de débats quant à sa capacité à jouer ce rôle de support spatial de qualité pour des appropriations habitantes et des relations sociales de proximité [Le Corbusier, 1957 ; Hertzberger, 1991 ; Marchadour, 2015 ; Moley 2006 ; Schaut, 2018]. Les concepteurs de ces projets attendent de la coursive qu’elle puisse constituer un espace singulier d’entre-deux propice à la sociabilité réelle ou figurée, entre la sphère privée du logement et les espaces collectifs de circulation, mais aussi entre l’habitat et l’environnement résidentiel comme signe d’ouverture sur le quartier.

« L’architecture générale du bâtiment entend favoriser communications et contacts avec le voisinage. L’avant-projet architectural prévoit ainsi des coursives en lieu et place des couloirs intérieurs. Au-delà de leur évidente plus-value écologique, ces coursives ouvrent le bâtiment vers son environnement. Constituant une transition douce entre la rue et l’espace privé, elles favorisent le sentiment d’appartenance au quartier dans le chef des habitants de Brutopia » (extrait du texte de présentation de l’habitat groupé en autopromotion Brutopia disponible sur leur blog à l'adresse suivante : https://utopiabrussels.wordpress.com/the-project/).

Les appropriations des coursives permettent en effet aux résidents de marquer une forme d’extension de leur espace privatif dans cet espace d’entre-deux, mais aussi leur volonté qu’il constitue un espace commun convivial. « En plus d’en faire un espace de représentation, par la mise en place de plantes, d’étagères, les habitants en font réellement une “préentrée” » [Legrand, 2013 : 77] où le voisin est le bienvenu.


3.3 L’ESPACE PRIVÉ : UNE OUVERTURE MAITRISÉE

Enfin, dans la plupart des cas, la conception des espaces privés et de leurs articulations tant matérielles, visuelles qu’auditives avec les espaces communs vise à maintenir un équilibre entre cette ouverture de la sphère privée et la préservation de l’intimité de la famille et de l’individu. La vie « à soi » est aussi valorisée par les concepteurs de ces projets et leur vocabulaire architectural a l’ambition de développer « une forme de collectivité […] qui n’oblige pas, qui laisse libre du retrait dans la sphère privée de l’espace domestique » [Loudier-Malgouyres 2013 : 47].

« Je pense qu’ici, quand on ferme la porte, on ferme la porte. Ça me semblait assez clair pour tout le monde dans le groupe depuis le départ. Il y avait le collectif et puis l’individu, la famille. C’est pas une “communauté” quoi. C’est vraiment pouvoir moduler les deux suivant l’envie du moment. » (Habitante de L’Échappée).

Une forte attention est généralement portée à la qualité des propriétés isolantes des unités privatives sur le plan acoustique qui permet de disposer d’un logement pouvant jouer le rôle de refuge pour s’extraire du collectif quand le besoin s’en fait sentir. Il arrive aussi que les logements individuels soient articulés autour du jardin ou de la cour partagée par l’entremise de terrasses privatives. Dans ce cas, une attention particulière est portée à la séparation entre ces espaces privés et l’espace commun du jardin ou de la cour, en respectant notamment certaines distances entre les terrasses. Ces typologies spatiales ne remplacent donc pas la figure de la privacité, mais l'associent à celle du collectif.


4. UN MODÈLE D’HABITER À L’ÉPREUVE DE LA DIVERSITÉ DES PUBLICS

Cette architecture est fortement liée à l’idéologie qu’elle manifeste. Elle est portée par l’idée que la matérialité doit non seulement exprimer le projet de mode d’habiter qui en est à l’origine et qui est basé sur l’importance de la vie en commun, mais qu’elle doit aussi l’entretenir, le vivifier voire le créer s'il n’est pas la motivation première des résidents. Or l’enquête le montre, ce postulat spatialiste qui fait de l’espace le prescripteur de la nature des relations sociales qu’il abrite [Baudin, 2001 ; Schaut, 2018] ne résiste pas toujours à leur épreuve. L’espace est différemment approprié selon les profils socio-économiques des habitants et les raisons qui les ont poussés à y résider. Ces différences s’expriment dans leurs attentes résidentielles, leurs modes de vie, leurs routines quotidiennes et le jugement qu’ils portent sur le projet de co-habitat.


4.1 L’HABITAT GROUPÉ EN AUTOPROMOTION : UN IDÉAL D’HABITER CONCRÉTISÉ COLLECTIVEMENT

Pour le dire de façon un peu schématique, les projets de co-habitat initiés et gérés par des groupes de particuliers attirent une certaine frange des classes moyennes intellectuelles. Ils sont conçus et rejoints par des individus socialement proches, de par leurs ressources financières, leurs diplômes élevés et leurs professions qualifiées dans le secteur socioculturel, l’enseignement ou encore la recherche. Plus que de la nécessité économique, ces projets naissent du rassemblement d’individus et de ménages autour d’un idéal d’habiter partagé. En outre, étant propriétaires de leur logement, ils envisagent généralement l’habitat groupé comme un projet durable. Ils sont prêts à investir du temps et de l’énergie dans la concrétisation collective de l’idéal d’un habitat qui joue d’autres fonctions que celle de se loger : ces individus valorisent la communauté de voisinage souvent choisie et pouvant offrir une appartenance plus large que la cellule familiale, mais aussi constituer un lieu de ressources psychiques, sociales et matérielles non régulé par les institutions de la société globale. Cette communauté se construit principalement dans les espaces communs, au travers de moments collectifs dédiés à l’aménagement ou la décoration de la salle polyvalente, l’entretien du jardin, la gestion de l’ensemble, lors de repas collectifs mensuels ou bien encore au travers de projets tels l’accueil de migrants. Ces habitants partagent aussi souvent des valeurs liées à la tolérance, l’écologie et la participation citoyenne, et certaines dispositions sociales comme un goût pour l’ancrage local extrafamilial qui se traduit par l’engagement dans le tissu associatif du quartier [Bidou, 1984]. Le groupe d’habitants de L’Echappée, par exemple, s’est formé à partir de leur participation à des Groupes d’Achat Solidaire de l’Agriculture Paysanne (GASAP). En outre, plusieurs d’entre eux étaient déjà engagés dans des projets menés par des associations du quartier et d’autres ont pris part à la vie associative locale une fois installés dans l’habitat groupé. Le public type des habitats groupés autopromus est ainsi particulièrement en phase avec le principe d’ouverture des espaces privés du logement et d’interaction positive avec le voisinage communément associé au co-habitat [Bacqué et Vermeersch, 2007 ; Tummers, 2016].


4.2 LE CO-HABITAT POUR DES PUBLICS PRÉCAIRES : UN CHOIX SOUVENT SOUS CONTRAINTE

Les projets initiés par des associations ou par les opérateurs publics (communes, CPAS, SLRB) tels Versailles Senior ou Industrie 79 ciblent pour leur part des individus et des ménages beaucoup moins dotés économiquement, plus diversifiés culturellement et rencontrant des difficultés pour se loger dans de bonnes conditions matérielles. En outre, la précarité des publics ciblés se situe bien souvent à l’intersection de différentes problématiques : chômage de longue durée, ruptures biographiques, troubles de la santé mentale, exil, périodes d’errance, mauvaise maîtrise du français… De fortes contraintes pèsent souvent sur ces individus et peuvent constituer des obstacles à leur participation au projet d’habitat solidaire, d’habitat intergénérationnel ou encore de CLT. Le statut de locataire qui concerne la plupart de ces projets à l’exception de ceux portés par le CLTB et l’anticipation d’un possible déménagement vers un autre logement semblent limiter aussi leur engagement [Dal et al., 2016]. Souvent il existe un décalage entre les attentes initiales des initiateurs de ces projets qui veulent insuffler un mode d’habiter communautaire au nom de ce qu’il serait moins onéreux et le plus à même de créer du lien social, et celles des habitants qui voient dans ces projets surtout une opportunité d’accéder à un coût financier raisonnable à un logement décent et spacieux notamment grâce aux espaces communs. D’un côté, les porteurs du projet espèrent l’émergence d’une communauté de voisins constituant un lieu de ressources matérielles et sociales leur permettant de répondre à certaines difficultés quotidiennes ; de l’autre, ces individus arrivés dans le co-habitat souvent après une séquence résidentielle et biographique instable voire chaotique, semblent accorder plus d’importance au besoin de « souffler » ou de « se reconstruire » dans l’intimité d’un logement privé confortable qu’à la construction d’un collectif et aux développements de projets communs.

« J’avais besoin, après tout ce qu’on avait vécu, que chacun ait sa chambre, notre chez nous. […] C’était important d’être seule quand je referme ma porte, d’être autonome, d’être chez moi et de gérer moi-même les choses. Et surtout, quand on ne connait pas spécialement les gens, que moi aussi j’ai des mauvais jours, ça peut amener des tensions, des conflits… Quand on a eu un vécu avant compliqué, on sait ce qu’on veut ! Moi je voulais bien créer des projets solidaires, mais être chez moi, dans mon appartement » (Ancienne habitante de Lemmens).

Le jardin et les pièces de vie communes sont alors sous-exploités ou bien utilisés pour des activités privées. Il arrive que des résidents hésitent à pousser la porte de la salle commune, comme Maria, 62 ans, habitante d’un habitat solidaire qui dit avoir « peur de déranger les filles quand elles mangent là avec des amis ». Plus encore, certains cherchent à protéger leur intimité par une séparation claire de leur espace privé avec les espaces communs. D’autres, néanmoins, sont intéressés par la dimension collective et investissent les espaces communs dans cette perspective, par exemple en y aménageant un coin bibliothèque, une salle d’étude pour les enfants ou en y organisant des activités culturelles ouvertes aux autres habitants. Mais les multiples contraintes qui pèsent sur leur quotidien ou sur celui des voisins, certaines difficultés communicationnelles ou même relationnelles liées à la diversité générationnelle et culturelle dans ces projets, ou encore le désintérêt des autres habitants peuvent finir par user cet engagement pour le collectif.

Face à de telles difficultés, auxquelles il faut adjoindre la faiblesse des moyens financiers mis au service de l’accompagnement social des habitants, les associations revoient parfois leurs ambitions à la baisse. Dans un habitat solidaire à Anderlecht, par exemple, les associations partenaires ont remis en location après 2 ans l’appartement initialement prévu comme espace commun et ont décidé de privilégier la résolution de problèmes individuels à la dynamique du commun. Ainsi, elles en viennent à une conception moins engageante de ce que devrait être un « bon voisinage », comme l’explique l’une des accompagnatrices du projet :

« Au départ on avait pensé qu’elles devaient toutes s’entendre ensemble. Donc on organisait des réunions… Là aussi, pour les réunions, c’était pas facile parce qu’elles avaient souvent leurs enfants avec elles, où elles avaient formation… C’était compliqué de trouver le bon moment avec elles. […] On a décidé de ne pas tout à fait laisser tomber, et de faire au moins une réunion par an. Mais quand on installe quelqu’un, on la présente aux voisines… »


CONCLUSION : PENSER LA DIVERSITÉ DES MODES D’HABITER EN SITUATION

Les expériences récentes de co-habitat reposent sur un vocabulaire spatial dans lequel leurs initiateurs fondent l’espoir qu’il puisse favoriser une nouvelle façon d’habiter où le logement est un lieu de ressources sociales et psychiques15. Il se traduit par la conception d’espaces communs centraux, autour desquels s’articulent des espaces privatifs de qualité et des espaces intermédiaires favorisant les échanges entre voisins, mais aussi avec le quartier. Ces formes spatiales et ce mode d’habiter correspondent aux représentations de l’habitat et des pratiques de voisinage portées par la majorité des initiateurs de ces projets, qu’ils soient issus du monde associatif, du secteur public, du monde privé marchand ou de simples citoyens. Au-delà de logiques d’action différentes, ces acteurs paraissent partager un imaginaire commun du « bon habiter », peut-être hérité des luttes urbaines des années 1970-1980, valorisant un habitat convivial et redonnant place à la valeur d’usage contre une vision techniciste de l’urbanisme [Pattaroni, 2011]. Il resterait à étudier plus finement les modalités de circulation, d’importation et d’exportation de cet imaginaire parmi les acteurs concernés. Pourtant, on l’a vu, ces projets ne répondent pas forcément aux attentes ni aux besoins de toutes les populations bruxelloises concernées. On peut dès lors se demander si les moyens économiques et humains investis pour la création d’espaces communs et le développement de projets collectifs dans les habitats solidaires notamment ne trouveraient pas plus d’utilité ailleurs, par exemple dans l’accompagnement social des habitants. Les acteurs associatifs eux-mêmes expriment régulièrement leur déception voire leur découragement face à des projets qui « ne prennent pas » et questionnent parfois leur pertinence pour leurs publics. La prise en compte de la spécificité de ces derniers publics et de la diversité de leurs modes d’habiter semble en tous cas nécessaire pour développer une offre de logement répondant à des besoins qui peuvent revêtir une dimension plus individuelle. Cela passe par leur intéressement dès l’entame des projets et par le refus de lier de manière mécanique vocabulaire architectural et projet social.

Plus largement, les constats posés dans l’article amènent aussi à s’interroger sur l’action publique bruxelloise menée en matière de logement, plus spécifiquement sur la place qu’y prennent les innovations, sur leur articulation avec les instruments plus centraux et traditionnels comme l’offre de logement social et sur leur fragilité, puisqu’elles n’existent pour l’instant qu’avec l’aide de subsides ponctuels. À voir si le nouveau gouvernement bruxellois aura à cœur d’en faire un objet de débat et d’action.

Merci à Pol Zimmer et Nicolas Bernard pour nous avoir éclairés sur la politique régionale du logement. Merci à Pierre Marissal pour le travail cartographique.


NOTES

• 1 La co-habitat (cohousing en anglais) se différencie ainsi du coliving qui définit une forme d’habit (...)
• 2 L’habitat solidaire est défini dans le code du logement (2013) comme « un logement sous-tendu par u (...)
• 3 Le Community Land Trust est un modèle d’organisation non marchande originaire des pays anglo-saxons (...)
• 4 Il s’agit des projets d’habitat solidaire Lemmens (Anderlecht), Casa Viva (Bruxelles-Ville), Maison (...)
• 5 Pour établir ce répertoire (non exhaustif), nous avons retenu les projets renvoyant à des réalisati (...)
• 6 Composition du ménage, isolement, difficultés conjugales...
• 7 L’ASBL 1Toit2Ages s’est spécialisée dans ce type de projet.
• 8 Comme dans la suite de l’article, nous utilisons un prénom d’emprunt.
• 9 « En terme de spatialisation, les cadrans nord et ouest de la Région concentrent la grande majorité (...)
• 10 Voir https://logement.brussels.
• 11 Le dernier monitoring des logements publics paru en janvier 2019 note que, 15 ans après, le PRL a a (...)
• 12 Un dernier constat peut également être fait : le taux de réalisation de logements publics acquisiti (...)
• 13 Une sensibilité plus grande aux associations ciblant des populations aux besoins spécifiques comme (...)
• 14 Ce n’est pas le lieu ici de critiquer ces évolutions en particulier en ce qui concerne les associat (...)
• 15 Dans le chef des promoteurs immobiliers, l’argument est également commercial, puisque cette forme d (...)


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