Personnes sans-abri et mal logées en Région Bruxelles-Capitale

Dernière mise à jour il y a 4 ans, le 18/03/2020

Genre de texte Scientifique (article/livre/rapport scientifique, thèse, mémoire, étude de marché,...)

Date de publication 2019

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Origine Internet / web

langue français

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RÉSUMÉS

Le 5 novembre 2018, le Centre d’appui au secteur de l’aide aux sans-abri a organisé un cinquième dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Les résultats issus de cette enquête viennent compléter une étude qui s'étale aujourd'hui sur dix ans. Cet article présente la méthodologie employée et les grandes tendances observées. Il propose également quelques éléments d'analyse susceptibles d'éclairer l'évolution du phénomène.

Depuis 2008, le Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, nouvellement rebaptisé Bruss’Help1, organise une vaste enquête tous les deux ans2 afin de recenser les personnes sans-abri et mal logées en Région Bruxelles-Capitale. Ce dénombrement vise à établir une « photographie » permettant d’appréhender la distribution des différentes formes d'absence de logement ou de mal-logement sur l’ensemble des dix-neuf communes de la Région. La comparaison de ces enquêtes, conduites selon le même protocole, permet de dégager des évolutions et de mieux cerner un phénomène complexe.


1. QUESTION DE MÉTHODE

Dénombrer les personnes sans-abri et mal logées soulève principalement deux types d’enjeux : qui compter et comment compter ? De fait, la question de la méthodologie employée est évidemment centrale. Il s’agit de mettre en place un procédé fiable et reproductible, se basant sur une nomenclature éprouvée et partagée par le plus grand nombre.


1.1. UN PROBLÈME DE DÉFINITION

Qu’est-ce qu’une personne sans-domicile ? La question est délicate et a fait l’objet de nombreux débats [voir par exemple Brousse et al., 2008 : 22 26 ; Marpsat, 2009]. Selon l’acception commune, l’expression désigne généralement une personne privée de logement et contrainte de vivre dans la rue. En fonction des critères retenus, cette dénomination peut en fait couvrir un éventail beaucoup plus large de conditions de vie.

Dès 2005, la FEANTSA (Fédération Européenne des Associations Nationales qui Travaillent avec les Sans-Abri) propose une typologie de l’exclusion liée au logement appelée ETHOS (European Typology on Homelessness and Housing Exclusion). Cette nomenclature s’appuie en creux sur ce que devrait être l’accès au logement : « avoir une habitation adéquate qu’une personne et sa famille peuvent posséder exclusivement (domaine physique) ; avoir un lieu de vie privé pour entretenir des relations sociales (domaine social) et avoir un titre légal d’occupation (domaine juridique) »3. Partant de cette définition la FEANTSA distingue quatre formes d’exclusion : être sans-abri (passer ses nuits dans l’espace public ou dans des centres d’hébergement d’urgence) ; être sans-logement (résider dans un foyer d’hébergement, un centre d’accueil ou une institution spécialisée) ; être en situation de logement précaire (être hébergé provisoirement chez sa famille ou ses amis, occuper une habitation sans bail locatif formel et/ou être menacé d’expulsion) ; être en situation de logement inadéquat (vivre dans une structure provisoire ou non conventionnelle, en squat ou en occupation négociée).

Cette typologie, adoptée pour mener les dénombrements en Région bruxelloise, offre des catégories statistiques solides et distinctes englobant une grande variété de situations, toutes caractérisées par une absence de logement. Servant d’étalon pour nombre d’enquêtes au niveau européen, elle permet également d’envisager des comparaisons afin d’évaluer la pertinence des politiques régionales et nationales en matière de lutte contre le sans-abrisme.


1.2. PROCÉDÉ ET DÉROULEMENT

Le dénombrement bruxellois repose sur une collaboration rassemblant les professionnel·le·s et les bénévoles du secteur de l’aide aux sans-abri, ainsi qu’un ensemble de partenaires issus de secteurs connexes : hôpitaux, transports publics, Bruxelles Environnement, CPAS, etc. Ces acteur·rice·s sont impliqué·e·s à chaque étape du processus, des repérages précédant le comptage nocturne jusqu’au comité mis en place pour discuter les résultats. C’est aussi et surtout sur la base de cette grande mobilisation qu’il est possible d’enregistrer les trois types de données à partir desquelles des analyses statistiques pourront être proposées.

Les premières données sont encodées le soir du dénombrement par les différentes structures d’hébergement et d’accueil : les centres d’accueil de nuit, les centres d’hébergement d’urgence ou de crise, les maisons d’accueil et les services d’accompagnement au logement4. À ces chiffres s’ajoutent ceux transmis par les structures d’accueil non agréées, comme les communautés religieuses, les structures pour demandeur·euse·s d’asile, les occupations négociées ou les squats.

Le comptage des personnes qui passent la nuit dans l’espace public constitue la deuxième source de données. Après avoir identifié au préalable les lieux fréquentés grâce à l’expertise des travailleur·euse·s sociaux·ales, le Centre d’appui produit un maillage délimitant 71 zones dans la Région de Bruxelles-Capitale. Le jour du dénombrement, entre 23 h et minuit5, près de 200 bénévoles ayant une connaissance approfondie ou partielle du public sans-abri sillonnent ces zones par équipe de deux pour procéder au recensement.

Enfin, des enquêtes sont menées dans les centres de jour de manière à réduire les risques de double comptage et enrichir qualitativement les données récoltées. Un premier questionnaire, portant sur les lieux et les services sociaux récemment fréquentés, est soumis deux semaines avant le dénombrement pour déterminer les zones prioritaires à parcourir. Le lendemain du comptage, un deuxième questionnaire permet de vérifier les données récoltées et d’estimer le nombre de personnes qui n’auraient pas été prises en compte.


1.3. DE LA NÉCESSITÉ DE MULTIPLIER LES ENQUÊTES

Depuis 2008, les partenariats se sont multipliés et ont gagné en efficacité, ce qui a permis d’améliorer l’exhaustivité des enquêtes et d’avoir une compréhension plus fine du sans-abrisme en Région bruxelloise6. Certaines catégories de la population concernée restent cependant invisibles à nos outils : c’est le cas notamment des personnes menacées d’expulsion ou de celles qui, ayant perdu leur logement, séjournent chez des amis ou dans leur famille (catégorie « logement précaire » de la typologie ETHOS)7. Par ailleurs, la méthode statistique, si elle permet de mesurer l’étendue du phénomène, n’apporte que peu d’éléments permettant de contextualiser l’analyse. Les autorités sont demandeuses de chiffres leur permettant de quantifier la « demande », mais la multiplication des angles d’approches, notamment via des enquêtes qualitatives, reste indispensable pour mieux cerner la réalité de cette population
hétérogène et en constante évolution.


2. LES CHIFFRES DU DÉNOMBREMENT 2018

Les données présentées ici sont issues de la cinquième édition du dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale [La Strada, 2019]8.


2.1. UN PHÉNOMÈNE EN CONSTANTE ÉVOLUTION

4 187 personnes ont été dénombrées dans la nuit du 5 novembre 2018. Parmi elles, 51,4 % étaient sans-abri (dans la rue ou dans les centres d’hébergements d’urgence), 22,2 % sans-logement (dans les maisons d’accueil et les logements de transit des CPAS) et 24,8 % en logement inadéquat (en squats, dans des communautés religieuses, etc.).

759 personnes, dont 20 mineur·e·s ont passé la nuit dans l’espace public le soir du dénombrement (18,1 % des personnes recensées). Si entre 2016 et 2018, le nombre d’individus dénombrés dans les rues, les parcs, les gares ou les stations de métro n’a que légèrement augmenté (+ 7,4 %), entre 2008 et 2018, ce nombre a quasiment triplé (+ 182,1 %).

707 personnes ont été prises en charge par les hébergements d’urgence et de crise. Le nombre de personnes présentes dans les centres du Samusocial a augmenté de 49,1 % par rapport à 2016. Si on tient compte des effectifs hébergés par la Plateforme Citoyenne9 (685 personnes supplémentaires), qui fournit un accueil similaire à une population de migrants, depuis 2008, la hausse de la population recensée dans les centres d’hébergements d’urgence s’élève à 293,7 %. Cette évolution s’explique très largement par l’augmentation des capacités d’accueil.

930 personnes étaient hébergées par un service reconnu : logement de transit du CPAS (0,5 %) et maison d’accueil (21,7 %). Le nombre de personnes recensées en maisons d’accueil dépend en grande partie du nombre de places disponibles : l’offre étant restée relativement stable au cours de ces dix dernières années, les effectifs n’ont que très peu évolué.

1 044 personnes se trouvaient dans des logements inadéquats, soit 24,9 % de la population dénombrée : 5 % d’entre elles dans des structures d’hébergement non agrée, 6,3 % dans des communautés religieuses, 7,9 % dans des occupations négociées et 5,6 % dans des squats. Pour les personnes en logement inadéquat, on constate des évolutions contrastées. Alors que les communautés religieuses (+ 40,2 %) et les occupations négociées (+ 21,1 %) continuent d’accueillir de plus en plus de personnes, on assiste à une nette baisse du nombre d’individus recensés dans les squats. Mais il faut noter que suite à la loi anti-squat qui a étendu la criminalisation de cette pratique, la transmission d’informations a été plus parcellaire.


2.2. COMPOSITION ET RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE LA POPULATION

La hausse du nombre de femmes qui passent la nuit dans la rue est sans doute l’élément le plus significatif de ce dernier dénombrement : ce nombre est passé de 50 à 84 en deux ans (+ 68 %). Les résultats indiquent toutefois que les hommes restent majoritaires (59,1 %), principalement parmi les personnes recensées dans l’espace public (66,4 %).

Sur les 612 enfants dénombrés la nuit du 5 novembre 2018, 265 étaient dans une situation de sans-abrisme (20 dans l’espace public et 245 dans une structure d’accueil d’urgence), 256 séjournaient dans une maison d’accueil, 4 étaient dans un logement de transit, 4 étaient hébergés par une communauté religieuse, 72 se trouvaient dans une occupation négociée, 11 ont passé la nuit dans un squat. Malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics d’éviter que des mineur·e·s aient à passer la nuit dehors, notamment en ouvrant des places à destination des familles dans les centres du Samusocial, le nombre d’enfants passant la nuit dans la rue n’a que très peu diminué au cours de deux dernières années (24 en 2016).

Enfin, le dénombrement 2018 vient confirmer une tendance déjà constatée en 2016, à savoir l’augmentation de la part relative des personnes recensées hors du centre-ville, ici assimilé au Pentagone (26 % en 2014 ; 44 % en 2016 ; 54 % en 2018), principalement dans les quartiers de la première couronne. La proportion des sans-abri trouvant refuge dans les gares reste, quant à elle, relativement stable (16 % en 2018 contre 17 % en 2016).


3. QUELQUES RÉFLEXIONS

Le nombre de personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale a plus que doublé au cours des dix dernières années (+ 142,2 %). Cette augmentation est d’autant plus inquiétante qu’elle est très probablement sous-estimée, plusieurs catégories de personnes n’étant encore que très partiellement couvertes par le dénombrement. La proportion des situations de vie les plus précaires s’est également fortement accrue : en 2018, plus d’un individu dénombré sur deux relevait de la catégorie des personnes « sans-abri ». Cette part de la population a vu son effectif croître de 327,6 % durant la dernière décennie.


3.1. SUR LE CHOIX EN MATIÈRE DE POLITIQUE PUBLIQUE DANS LE DOMAINE DU SANS-ABRISME

Les données recueillies ne permettent pas seulement de dresser un constat : elles rendent également compte du type de réponse politique apportée au sans-abrisme ces dix dernières années. L’explosion du nombre de prises en charge dans les centres d’hébergements d’urgence (+ 594,9 % depuis 2008), notamment lorsqu’on la compare à la très faible augmentation du nombre de places disponibles en maison d’accueil (+ 15,9 %), témoigne tout particulièrement des orientations prises. Les pouvoirs publics bruxellois semblent avoir privilégié la simple mise à l’abri10 – hausse des capacités d’accueil des centres gérés par le Samusocial et subvention du centre de la Porte d’Ulysse – au détriment d’une approche plus structurelle basée entre autres sur le renforcement des dispositifs d’accompagnement et de suivi. Au risque que, « le manque de places disponibles, d’alternatives de sorties vers le haut, transforme les dispositifs d’urgence en parc d’attente saturé » [Feantsa et Fondation Abbé Pierre, 2019 : 21]. Cette vue à court terme transparait également à travers ce que les professionnel·le·s du secteur ont pris coutume d’appeler la « gestion au thermomètre » : à l’augmentation momentanée des capacités d’hébergement durant la période hivernale succède l’insuffisance des moyens avec lesquels les services doivent composer pour assurer l’accueil le restant de l’année11.

Les derniers résultats mettent en évidence un autre phénomène. Le soir du dénombrement, 248 personnes ont été logées bénévolement par des ménages bruxellois via la Plateforme Citoyenne. Si on ne peut que louer la charité des particuliers proposant ponctuellement leurs services pour pallier l’urgence de la situation présente, le développement de cette pratique soulève de sérieuses questions : au-delà de son intention première, ce type d’initiative risque d’invisibiliser le manquement des pouvoirs publics – qui parallèlement se désinvestissent déjà progressivement de leurs missions en se reposant sur la multiplication des initiatives privées. Plus globalement, on peut noter qu’une personne dénombrée sur quatre (24,9 %) trouve une solution d’hébergement en marge de tout dispositif conventionné (structure d'hébergement non agréée, communautés religieuses, squats ou occupations négociées).

Une autre série de chiffres atteste néanmoins d’une perspective encourageante. L’habitat accompagné traditionnel a augmenté de 28,6 % à Bruxelles au cours des deux dernières années (1 394 personnes suivies) ; les programmes Housing First12 ont, quant à eux, purement et simplement doublé (120 personnes suivies). Au total, 1 514 personnes sont sorties du sans-abrisme ou l’ont évité grâce à ces deux formules. Ces services ne peuvent toutefois fonctionner qu’à la condition de pouvoir capter des appartements décents à loyer modéré. Le parc de logements de ce type est limité et les différentes structures – qui finissent par être en concurrence pour leur obtention – participent, à leur corps défendant, à retirer du circuit des logements bon-marché qui auraient pu profiter à des ménages précaires.


3.2. SUR LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE BRUXELLOIS ET LE TRAITEMENT POLITIQUES DE LA QUESTION MIGRATOIRE

Les pouvoirs publics bruxellois peinent à faire face à l’évolution croissante du sans-abrisme. De l’avis de nombreux·ses observateur·rice·s, les mesures palliatives adoptées pour endiguer le phénomène ne sont pas à la hauteur du défi à relever : l’augmentation du nombre de personnes sans-abri et mal logées, constatée dans la quasi-totalité des grandes villes européennes, ne pourra être enrayée qu’à la condition de s’attaquer aux mécanismes conduisant à l’exclusion. Les causes structurelles du sans-abrisme sont nombreuses et intriquées, il est donc difficile ici d’en dresser un tableau exhaustif. Trois éléments particulièrement saillants peuvent néanmoins être retenus pour éclairer la situation bruxelloise : la précarisation croissante des classes populaires, le contexte défavorable de l’accès au logement et le traitement politique des flux migratoires.

Au nombre des raisons participant à exposer une frange toujours plus élargie de la population bruxelloise au risque du sans-abrisme et du mal-logement, figure au premier chef la montée manifeste des inégalités socio-économiques. La paupérisation des classes populaires et des fractions les plus fragilisées de la classe moyenne n’a fait que croitre ces dix dernières années. Entre 2007 et 2017, le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale a augmenté de 73,4 %. En janvier 2017, ce n’est pas moins d’un cinquième de la population bruxelloise de 18 à 64 ans qui percevrait une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement [Observatoire de la Santé et du Social, 2018 : 22 24]. Au niveau national, 16,4 % de la population auraient été exposés en 2018 à un risque de pauvreté monétaire13. On observe aussi « un décalage croissant d’une part entre l’évolution des minima sociaux et celle des besoins des personnes, d’autre part entre l’existence de droits sociaux et les possibilités réelles des personnes d’y avoir accès » [La Strada, 2017 : 101].

À cette précarité importante s’ajoute le difficile contexte du logement à Bruxelles. Bien que les loyers stagnent à Bruxelles depuis 2015, cette stagnation a lieu après dix ans de hausse constante. Si bien qu’en fixant à 30 % la part des revenus allouée au loyer, le premier décile des logements les moins chers de l’agglomération n’est accessible qu’à 52 % de la population bruxelloise [De Keersmaecker, 2018 : 28 et 42]. Les réponses apportées par le politique à cette réalité demeurent timides. Signalons notamment qu’il n’y a que 36 117 logements sociaux loués en Région de Bruxelles-Capitale alors que l'on compte plus de 48 804 ménages sur liste d’attente [Observatoire de la Santé et du Social, 2018 : 55]. La pression sur le marché locatif et la pénurie de logements bon marché (en ce compris les logements sociaux) sont un facteur de paupérisation.

L’élargissement de l’Union européenne a engendré un afflux accru de population européenne issue des nouveaux états membres qui ne se stabilisent malheureusement pas toujours dans un logement. On constate également une élévation du nombre d’entrées sur le territoire belge de migrants (qu’ils souhaitent se stabiliser durablement en Belgique ou non) [Vause, 2018]. Bruxelles est ainsi devenu au fil du temps un point duquel partent une partie des migrants souhaitant gagner le Royaume-Uni. Bien que la mobilité internationale accrue concerne toutes les couches sociales, celle-ci engendre notamment à Bruxelles un afflux de populations étrangères précarisées dont le statut de séjour sur le territoire est très variable. De facto, en l’absence de mesures fortes aux niveaux fédéral et européen (campagne de naturalisation, politique européenne de gestion des flux,…), la Région de Bruxelles-Capitale doit gérer une situation qui dépasse le cadre de ses compétences, ne pouvant souvent proposer qu’un abri pour la nuit aux personnes en situation irrégulière sur le territoire.


BIBLIOGRAPHIE

BROUSSE, Cécile, FIRDION, Jean-Marie et MARPSAT, Maryse, 2008. Les sans-domicile. Repères 523. Paris : La Découverte.

BUXANT, Coralie, 2018. Housing First : une invitation à envisager la fin du sans-abrisme. In : Vie sociale. vol. 23 24, no 3 4, pp. 125 136.
DOI : 10.3917/vsoc.183.0125

COLLECTIF LES MORTS DE LA RUE, 2018. Mortalité des personnes sans-domicile 2017. L’enquête dénombrer et décrire. Paris : CMDR.

DE KEERSMAECKER, Marie-Laurence, 2018. Observatoire des Loyers. Enquête 2017. Bruxelles : SLRB-BGHM.

FEANTSA et FONDATION ABBÉ PIERRE, 2019. Quatrième Regard sur le mal-logement en Europe. Bruxelles/Paris : FEANTSA/Fondation Abbé Pierre.

LA STRADA, 2017. Dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Quatrième et double édition : 7 novembre 2016 - 6 mars 2017. Bruxelles : La Strada.

LA STRADA, 2019. Dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Cinquième édition : 5 novembre 2018. Bruxelles : La Strada.

MARPSAT, Maryse, 2009. Les définitions des sans-domicile en Europe : convergences et divergences. In : Courrier des statistiques. vol. 126, no 1, pp. 49 58.

OBSERVATOIRE DE LA SANTÉ ET DU SOCIAL, 2018. Baromètre social 2018. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2018. Bruxelles : Commission communautaire commune.

VAUSE, Sophie, 2018. 1997-2017 : un bilan de deux décennies d’immigrations en Belgique. Bruxelles : Myria.


NOTES

1 L’ASBL la Strada a récemment intégré cette nouvelle association coupole conformément à la directive adoptée en vue de reformer le secteur d’aide aux sans-abri.
2 Le dénombrement se déroule au début du mois de novembre, juste avant le début du plan hivernal. La « photographie » obtenue témoigne donc des solutions d’accueil disponibles tout au long de l’année.
3 FEANTSA, 2007. Typologie européenne de l’exclusion liée au logement. Disponible à l'adresse : https://www.feantsa.org/ download/fr___2525022567407186066.pdf.
4 Ces services d’accompagnement regroupent les logements de transit, l’habitat accompagné et les dispositifs Housing First.
5 Ce créneau horaire a été choisi afin de ne recenser que les personnes qui passent la nuit dehors faute de logement ou d’hébergement.
6 L’outil statistique qu’est le dénombrement s’est amélioré et affiné au cours des années. Les partenariats mis en place dès 2008 se sont approfondis et ont gagné en efficacité et de nouvelles sources de données ont été ajoutées progressivement. Tout cela a permis d’améliorer l’exhaustivité des chiffres collectés et d’avoir une compréhension plus large de la réalité bruxelloise. Il ne faut cependant pas limiter la hausse constante du nombre de personnes sans-abris et mal logées à un simple artefact statistique.
7 Les professionnel·le·s utilisent généralement l’expression « sans-abrisme caché » pour désigner ce phénomène tant il est difficile d’en évaluer l’ampleur.
8 Cette dernière édition vient compléter les quatre précédentes réalisées en 2008, 2010, 2014 et 2016 (le dénombrement n’a pas eu lieu en 2012).
9 La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, fondée en 2014, gère à la fois l’accueil proposé par les particuliers et le centre d’hébergement de la Porte d’Ulysse.
10 Ce choix semble en partie dicté par la politique migratoire menée par le gouvernement fédéral : une part substantielle des personnes ayant recours à l’hébergement d’urgence ne peuvent, compte tenu de leur situation administrative, prétendre à un accompagnement social ou à une place dans une structure dite de stabilisation.
11 Si l’on peut aisément comprendre les dispositions prises pour éviter le décès de personnes contraintes de passer la nuit dehors, leur limitation aux seules périodes hivernales semble en réalité peu justifiée. Les études existantes montrent en effet que l’hiver n’est pas une saison nettement plus mortifère que l’été pour les sans-abri [Collectif Les Morts de la Rue, 2018 : 5].
12 Le Housing First (ou logement d’abord) consiste en « un accès immédiat au logement depuis la rue, sans autres conditions que celles auxquelles est soumis un locataire lambda (payer son loyer et respecter son contrat de bail). Il n’y a pas d’obligation de soin ni de mise en projet ; le modèle s’inscrit dans une logique de réduction des risques. » [Buxant, 2018 : 126].
13 STATBEL, 2019. Risque de pauvreté ou d'exclusion sociale. Disponible à l'adresse : https://statbel.fgov.be/fr/themes/ menages/pauvrete-et-conditions-de-vie/risque-de-pauvrete-ou-dexclusion-sociale#news
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Le 5 novembre 2018, le Centre d’appui au secteur de l’aide aux sans-abri a organisé un cinquième dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Les résultats issus de cette enquête viennent compléter une étude qui s'étale aujourd'hui sur dix ans. Cet article présente la méthodologie employée et les grandes tendances observées. Il propose également quelques éléments d'analyse susceptibles d'éclairer l'évolution du phénomène.

Depuis 2008, le Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, nouvellement rebaptisé Bruss’Help1, organise une vaste enquête tous les deux ans2 afin de recenser les personnes sans-abri et mal logées en Région Bruxelles-Capitale. Ce dénombrement vise à établir une « photographie » permettant d’appréhender la distribution des différentes formes d'absence de logement ou de mal-logement sur l’ensemble des dix-neuf communes de la Région. La comparaison de ces enquêtes, conduites selon le même protocole, permet de dégager des évolutions et de mieux cerner un phénomène complexe.


1. QUESTION DE MÉTHODE

Dénombrer les personnes sans-abri et mal logées soulève principalement deux types d’enjeux : qui compter et comment compter ? De fait, la question de la méthodologie employée est évidemment centrale. Il s’agit de mettre en place un procédé fiable et reproductible, se basant sur une nomenclature éprouvée et partagée par le plus grand nombre.


1.1. UN PROBLÈME DE DÉFINITION

Qu’est-ce qu’une personne sans-domicile ? La question est délicate et a fait l’objet de nombreux débats [voir par exemple Brousse et al., 2008 : 22 26 ; Marpsat, 2009]. Selon l’acception commune, l’expression désigne généralement une personne privée de logement et contrainte de vivre dans la rue. En fonction des critères retenus, cette dénomination peut en fait couvrir un éventail beaucoup plus large de conditions de vie.

Dès 2005, la FEANTSA (Fédération Européenne des Associations Nationales qui Travaillent avec les Sans-Abri) propose une typologie de l’exclusion liée au logement appelée ETHOS (European Typology on Homelessness and Housing Exclusion). Cette nomenclature s’appuie en creux sur ce que devrait être l’accès au logement : « avoir une habitation adéquate qu’une personne et sa famille peuvent posséder exclusivement (domaine physique) ; avoir un lieu de vie privé pour entretenir des relations sociales (domaine social) et avoir un titre légal d’occupation (domaine juridique) »3. Partant de cette définition la FEANTSA distingue quatre formes d’exclusion : être sans-abri (passer ses nuits dans l’espace public ou dans des centres d’hébergement d’urgence) ; être sans-logement (résider dans un foyer d’hébergement, un centre d’accueil ou une institution spécialisée) ; être en situation de logement précaire (être hébergé provisoirement chez sa famille ou ses amis, occuper une habitation sans bail locatif formel et/ou être menacé d’expulsion) ; être en situation de logement inadéquat (vivre dans une structure provisoire ou non conventionnelle, en squat ou en occupation négociée).

Cette typologie, adoptée pour mener les dénombrements en Région bruxelloise, offre des catégories statistiques solides et distinctes englobant une grande variété de situations, toutes caractérisées par une absence de logement. Servant d’étalon pour nombre d’enquêtes au niveau européen, elle permet également d’envisager des comparaisons afin d’évaluer la pertinence des politiques régionales et nationales en matière de lutte contre le sans-abrisme.


1.2. PROCÉDÉ ET DÉROULEMENT

Le dénombrement bruxellois repose sur une collaboration rassemblant les professionnel·le·s et les bénévoles du secteur de l’aide aux sans-abri, ainsi qu’un ensemble de partenaires issus de secteurs connexes : hôpitaux, transports publics, Bruxelles Environnement, CPAS, etc. Ces acteur·rice·s sont impliqué·e·s à chaque étape du processus, des repérages précédant le comptage nocturne jusqu’au comité mis en place pour discuter les résultats. C’est aussi et surtout sur la base de cette grande mobilisation qu’il est possible d’enregistrer les trois types de données à partir desquelles des analyses statistiques pourront être proposées.

Les premières données sont encodées le soir du dénombrement par les différentes structures d’hébergement et d’accueil : les centres d’accueil de nuit, les centres d’hébergement d’urgence ou de crise, les maisons d’accueil et les services d’accompagnement au logement4. À ces chiffres s’ajoutent ceux transmis par les structures d’accueil non agréées, comme les communautés religieuses, les structures pour demandeur·euse·s d’asile, les occupations négociées ou les squats.

Le comptage des personnes qui passent la nuit dans l’espace public constitue la deuxième source de données. Après avoir identifié au préalable les lieux fréquentés grâce à l’expertise des travailleur·euse·s sociaux·ales, le Centre d’appui produit un maillage délimitant 71 zones dans la Région de Bruxelles-Capitale. Le jour du dénombrement, entre 23 h et minuit5, près de 200 bénévoles ayant une connaissance approfondie ou partielle du public sans-abri sillonnent ces zones par équipe de deux pour procéder au recensement.

Enfin, des enquêtes sont menées dans les centres de jour de manière à réduire les risques de double comptage et enrichir qualitativement les données récoltées. Un premier questionnaire, portant sur les lieux et les services sociaux récemment fréquentés, est soumis deux semaines avant le dénombrement pour déterminer les zones prioritaires à parcourir. Le lendemain du comptage, un deuxième questionnaire permet de vérifier les données récoltées et d’estimer le nombre de personnes qui n’auraient pas été prises en compte.


1.3. DE LA NÉCESSITÉ DE MULTIPLIER LES ENQUÊTES

Depuis 2008, les partenariats se sont multipliés et ont gagné en efficacité, ce qui a permis d’améliorer l’exhaustivité des enquêtes et d’avoir une compréhension plus fine du sans-abrisme en Région bruxelloise6. Certaines catégories de la population concernée restent cependant invisibles à nos outils : c’est le cas notamment des personnes menacées d’expulsion ou de celles qui, ayant perdu leur logement, séjournent chez des amis ou dans leur famille (catégorie « logement précaire » de la typologie ETHOS)7. Par ailleurs, la méthode statistique, si elle permet de mesurer l’étendue du phénomène, n’apporte que peu d’éléments permettant de contextualiser l’analyse. Les autorités sont demandeuses de chiffres leur permettant de quantifier la « demande », mais la multiplication des angles d’approches, notamment via des enquêtes qualitatives, reste indispensable pour mieux cerner la réalité de cette population
hétérogène et en constante évolution.


2. LES CHIFFRES DU DÉNOMBREMENT 2018

Les données présentées ici sont issues de la cinquième édition du dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale [La Strada, 2019]8.


2.1. UN PHÉNOMÈNE EN CONSTANTE ÉVOLUTION

4 187 personnes ont été dénombrées dans la nuit du 5 novembre 2018. Parmi elles, 51,4 % étaient sans-abri (dans la rue ou dans les centres d’hébergements d’urgence), 22,2 % sans-logement (dans les maisons d’accueil et les logements de transit des CPAS) et 24,8 % en logement inadéquat (en squats, dans des communautés religieuses, etc.).

759 personnes, dont 20 mineur·e·s ont passé la nuit dans l’espace public le soir du dénombrement (18,1 % des personnes recensées). Si entre 2016 et 2018, le nombre d’individus dénombrés dans les rues, les parcs, les gares ou les stations de métro n’a que légèrement augmenté (+ 7,4 %), entre 2008 et 2018, ce nombre a quasiment triplé (+ 182,1 %).

707 personnes ont été prises en charge par les hébergements d’urgence et de crise. Le nombre de personnes présentes dans les centres du Samusocial a augmenté de 49,1 % par rapport à 2016. Si on tient compte des effectifs hébergés par la Plateforme Citoyenne9 (685 personnes supplémentaires), qui fournit un accueil similaire à une population de migrants, depuis 2008, la hausse de la population recensée dans les centres d’hébergements d’urgence s’élève à 293,7 %. Cette évolution s’explique très largement par l’augmentation des capacités d’accueil.

930 personnes étaient hébergées par un service reconnu : logement de transit du CPAS (0,5 %) et maison d’accueil (21,7 %). Le nombre de personnes recensées en maisons d’accueil dépend en grande partie du nombre de places disponibles : l’offre étant restée relativement stable au cours de ces dix dernières années, les effectifs n’ont que très peu évolué.

1 044 personnes se trouvaient dans des logements inadéquats, soit 24,9 % de la population dénombrée : 5 % d’entre elles dans des structures d’hébergement non agrée, 6,3 % dans des communautés religieuses, 7,9 % dans des occupations négociées et 5,6 % dans des squats. Pour les personnes en logement inadéquat, on constate des évolutions contrastées. Alors que les communautés religieuses (+ 40,2 %) et les occupations négociées (+ 21,1 %) continuent d’accueillir de plus en plus de personnes, on assiste à une nette baisse du nombre d’individus recensés dans les squats. Mais il faut noter que suite à la loi anti-squat qui a étendu la criminalisation de cette pratique, la transmission d’informations a été plus parcellaire.


2.2. COMPOSITION ET RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE LA POPULATION

La hausse du nombre de femmes qui passent la nuit dans la rue est sans doute l’élément le plus significatif de ce dernier dénombrement : ce nombre est passé de 50 à 84 en deux ans (+ 68 %). Les résultats indiquent toutefois que les hommes restent majoritaires (59,1 %), principalement parmi les personnes recensées dans l’espace public (66,4 %).

Sur les 612 enfants dénombrés la nuit du 5 novembre 2018, 265 étaient dans une situation de sans-abrisme (20 dans l’espace public et 245 dans une structure d’accueil d’urgence), 256 séjournaient dans une maison d’accueil, 4 étaient dans un logement de transit, 4 étaient hébergés par une communauté religieuse, 72 se trouvaient dans une occupation négociée, 11 ont passé la nuit dans un squat. Malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics d’éviter que des mineur·e·s aient à passer la nuit dehors, notamment en ouvrant des places à destination des familles dans les centres du Samusocial, le nombre d’enfants passant la nuit dans la rue n’a que très peu diminué au cours de deux dernières années (24 en 2016).

Enfin, le dénombrement 2018 vient confirmer une tendance déjà constatée en 2016, à savoir l’augmentation de la part relative des personnes recensées hors du centre-ville, ici assimilé au Pentagone (26 % en 2014 ; 44 % en 2016 ; 54 % en 2018), principalement dans les quartiers de la première couronne. La proportion des sans-abri trouvant refuge dans les gares reste, quant à elle, relativement stable (16 % en 2018 contre 17 % en 2016).


3. QUELQUES RÉFLEXIONS

Le nombre de personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale a plus que doublé au cours des dix dernières années (+ 142,2 %). Cette augmentation est d’autant plus inquiétante qu’elle est très probablement sous-estimée, plusieurs catégories de personnes n’étant encore que très partiellement couvertes par le dénombrement. La proportion des situations de vie les plus précaires s’est également fortement accrue : en 2018, plus d’un individu dénombré sur deux relevait de la catégorie des personnes « sans-abri ». Cette part de la population a vu son effectif croître de 327,6 % durant la dernière décennie.


3.1. SUR LE CHOIX EN MATIÈRE DE POLITIQUE PUBLIQUE DANS LE DOMAINE DU SANS-ABRISME

Les données recueillies ne permettent pas seulement de dresser un constat : elles rendent également compte du type de réponse politique apportée au sans-abrisme ces dix dernières années. L’explosion du nombre de prises en charge dans les centres d’hébergements d’urgence (+ 594,9 % depuis 2008), notamment lorsqu’on la compare à la très faible augmentation du nombre de places disponibles en maison d’accueil (+ 15,9 %), témoigne tout particulièrement des orientations prises. Les pouvoirs publics bruxellois semblent avoir privilégié la simple mise à l’abri10 – hausse des capacités d’accueil des centres gérés par le Samusocial et subvention du centre de la Porte d’Ulysse – au détriment d’une approche plus structurelle basée entre autres sur le renforcement des dispositifs d’accompagnement et de suivi. Au risque que, « le manque de places disponibles, d’alternatives de sorties vers le haut, transforme les dispositifs d’urgence en parc d’attente saturé » [Feantsa et Fondation Abbé Pierre, 2019 : 21]. Cette vue à court terme transparait également à travers ce que les professionnel·le·s du secteur ont pris coutume d’appeler la « gestion au thermomètre » : à l’augmentation momentanée des capacités d’hébergement durant la période hivernale succède l’insuffisance des moyens avec lesquels les services doivent composer pour assurer l’accueil le restant de l’année11.

Les derniers résultats mettent en évidence un autre phénomène. Le soir du dénombrement, 248 personnes ont été logées bénévolement par des ménages bruxellois via la Plateforme Citoyenne. Si on ne peut que louer la charité des particuliers proposant ponctuellement leurs services pour pallier l’urgence de la situation présente, le développement de cette pratique soulève de sérieuses questions : au-delà de son intention première, ce type d’initiative risque d’invisibiliser le manquement des pouvoirs publics – qui parallèlement se désinvestissent déjà progressivement de leurs missions en se reposant sur la multiplication des initiatives privées. Plus globalement, on peut noter qu’une personne dénombrée sur quatre (24,9 %) trouve une solution d’hébergement en marge de tout dispositif conventionné (structure d'hébergement non agréée, communautés religieuses, squats ou occupations négociées).

Une autre série de chiffres atteste néanmoins d’une perspective encourageante. L’habitat accompagné traditionnel a augmenté de 28,6 % à Bruxelles au cours des deux dernières années (1 394 personnes suivies) ; les programmes Housing First12 ont, quant à eux, purement et simplement doublé (120 personnes suivies). Au total, 1 514 personnes sont sorties du sans-abrisme ou l’ont évité grâce à ces deux formules. Ces services ne peuvent toutefois fonctionner qu’à la condition de pouvoir capter des appartements décents à loyer modéré. Le parc de logements de ce type est limité et les différentes structures – qui finissent par être en concurrence pour leur obtention – participent, à leur corps défendant, à retirer du circuit des logements bon-marché qui auraient pu profiter à des ménages précaires.


3.2. SUR LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE BRUXELLOIS ET LE TRAITEMENT POLITIQUES DE LA QUESTION MIGRATOIRE

Les pouvoirs publics bruxellois peinent à faire face à l’évolution croissante du sans-abrisme. De l’avis de nombreux·ses observateur·rice·s, les mesures palliatives adoptées pour endiguer le phénomène ne sont pas à la hauteur du défi à relever : l’augmentation du nombre de personnes sans-abri et mal logées, constatée dans la quasi-totalité des grandes villes européennes, ne pourra être enrayée qu’à la condition de s’attaquer aux mécanismes conduisant à l’exclusion. Les causes structurelles du sans-abrisme sont nombreuses et intriquées, il est donc difficile ici d’en dresser un tableau exhaustif. Trois éléments particulièrement saillants peuvent néanmoins être retenus pour éclairer la situation bruxelloise : la précarisation croissante des classes populaires, le contexte défavorable de l’accès au logement et le traitement politique des flux migratoires.

Au nombre des raisons participant à exposer une frange toujours plus élargie de la population bruxelloise au risque du sans-abrisme et du mal-logement, figure au premier chef la montée manifeste des inégalités socio-économiques. La paupérisation des classes populaires et des fractions les plus fragilisées de la classe moyenne n’a fait que croitre ces dix dernières années. Entre 2007 et 2017, le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale a augmenté de 73,4 %. En janvier 2017, ce n’est pas moins d’un cinquième de la population bruxelloise de 18 à 64 ans qui percevrait une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement [Observatoire de la Santé et du Social, 2018 : 22 24]. Au niveau national, 16,4 % de la population auraient été exposés en 2018 à un risque de pauvreté monétaire13. On observe aussi « un décalage croissant d’une part entre l’évolution des minima sociaux et celle des besoins des personnes, d’autre part entre l’existence de droits sociaux et les possibilités réelles des personnes d’y avoir accès » [La Strada, 2017 : 101].

À cette précarité importante s’ajoute le difficile contexte du logement à Bruxelles. Bien que les loyers stagnent à Bruxelles depuis 2015, cette stagnation a lieu après dix ans de hausse constante. Si bien qu’en fixant à 30 % la part des revenus allouée au loyer, le premier décile des logements les moins chers de l’agglomération n’est accessible qu’à 52 % de la population bruxelloise [De Keersmaecker, 2018 : 28 et 42]. Les réponses apportées par le politique à cette réalité demeurent timides. Signalons notamment qu’il n’y a que 36 117 logements sociaux loués en Région de Bruxelles-Capitale alors que l'on compte plus de 48 804 ménages sur liste d’attente [Observatoire de la Santé et du Social, 2018 : 55]. La pression sur le marché locatif et la pénurie de logements bon marché (en ce compris les logements sociaux) sont un facteur de paupérisation.

L’élargissement de l’Union européenne a engendré un afflux accru de population européenne issue des nouveaux états membres qui ne se stabilisent malheureusement pas toujours dans un logement. On constate également une élévation du nombre d’entrées sur le territoire belge de migrants (qu’ils souhaitent se stabiliser durablement en Belgique ou non) [Vause, 2018]. Bruxelles est ainsi devenu au fil du temps un point duquel partent une partie des migrants souhaitant gagner le Royaume-Uni. Bien que la mobilité internationale accrue concerne toutes les couches sociales, celle-ci engendre notamment à Bruxelles un afflux de populations étrangères précarisées dont le statut de séjour sur le territoire est très variable. De facto, en l’absence de mesures fortes aux niveaux fédéral et européen (campagne de naturalisation, politique européenne de gestion des flux,…), la Région de Bruxelles-Capitale doit gérer une situation qui dépasse le cadre de ses compétences, ne pouvant souvent proposer qu’un abri pour la nuit aux personnes en situation irrégulière sur le territoire.


BIBLIOGRAPHIE

BROUSSE, Cécile, FIRDION, Jean-Marie et MARPSAT, Maryse, 2008. Les sans-domicile. Repères 523. Paris : La Découverte.

BUXANT, Coralie, 2018. Housing First : une invitation à envisager la fin du sans-abrisme. In : Vie sociale. vol. 23 24, no 3 4, pp. 125 136.
DOI : 10.3917/vsoc.183.0125

COLLECTIF LES MORTS DE LA RUE, 2018. Mortalité des personnes sans-domicile 2017. L’enquête dénombrer et décrire. Paris : CMDR.

DE KEERSMAECKER, Marie-Laurence, 2018. Observatoire des Loyers. Enquête 2017. Bruxelles : SLRB-BGHM.

FEANTSA et FONDATION ABBÉ PIERRE, 2019. Quatrième Regard sur le mal-logement en Europe. Bruxelles/Paris : FEANTSA/Fondation Abbé Pierre.

LA STRADA, 2017. Dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Quatrième et double édition : 7 novembre 2016 - 6 mars 2017. Bruxelles : La Strada.

LA STRADA, 2019. Dénombrement des personnes sans-abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale. Cinquième édition : 5 novembre 2018. Bruxelles : La Strada.

MARPSAT, Maryse, 2009. Les définitions des sans-domicile en Europe : convergences et divergences. In : Courrier des statistiques. vol. 126, no 1, pp. 49 58.

OBSERVATOIRE DE LA SANTÉ ET DU SOCIAL, 2018. Baromètre social 2018. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2018. Bruxelles : Commission communautaire commune.

VAUSE, Sophie, 2018. 1997-2017 : un bilan de deux décennies d’immigrations en Belgique. Bruxelles : Myria.


NOTES

1 L’ASBL la Strada a récemment intégré cette nouvelle association coupole conformément à la directive adoptée en vue de reformer le secteur d’aide aux sans-abri.
2 Le dénombrement se déroule au début du mois de novembre, juste avant le début du plan hivernal. La « photographie » obtenue témoigne donc des solutions d’accueil disponibles tout au long de l’année.
3 FEANTSA, 2007. Typologie européenne de l’exclusion liée au logement. Disponible à l'adresse : https://www.feantsa.org/ download/fr___2525022567407186066.pdf.
4 Ces services d’accompagnement regroupent les logements de transit, l’habitat accompagné et les dispositifs Housing First.
5 Ce créneau horaire a été choisi afin de ne recenser que les personnes qui passent la nuit dehors faute de logement ou d’hébergement.
6 L’outil statistique qu’est le dénombrement s’est amélioré et affiné au cours des années. Les partenariats mis en place dès 2008 se sont approfondis et ont gagné en efficacité et de nouvelles sources de données ont été ajoutées progressivement. Tout cela a permis d’améliorer l’exhaustivité des chiffres collectés et d’avoir une compréhension plus large de la réalité bruxelloise. Il ne faut cependant pas limiter la hausse constante du nombre de personnes sans-abris et mal logées à un simple artefact statistique.
7 Les professionnel·le·s utilisent généralement l’expression « sans-abrisme caché » pour désigner ce phénomène tant il est difficile d’en évaluer l’ampleur.
8 Cette dernière édition vient compléter les quatre précédentes réalisées en 2008, 2010, 2014 et 2016 (le dénombrement n’a pas eu lieu en 2012).
9 La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, fondée en 2014, gère à la fois l’accueil proposé par les particuliers et le centre d’hébergement de la Porte d’Ulysse.
10 Ce choix semble en partie dicté par la politique migratoire menée par le gouvernement fédéral : une part substantielle des personnes ayant recours à l’hébergement d’urgence ne peuvent, compte tenu de leur situation administrative, prétendre à un accompagnement social ou à une place dans une structure dite de stabilisation.
11 Si l’on peut aisément comprendre les dispositions prises pour éviter le décès de personnes contraintes de passer la nuit dehors, leur limitation aux seules périodes hivernales semble en réalité peu justifiée. Les études existantes montrent en effet que l’hiver n’est pas une saison nettement plus mortifère que l’été pour les sans-abri [Collectif Les Morts de la Rue, 2018 : 5].
12 Le Housing First (ou logement d’abord) consiste en « un accès immédiat au logement depuis la rue, sans autres conditions que celles auxquelles est soumis un locataire lambda (payer son loyer et respecter son contrat de bail). Il n’y a pas d’obligation de soin ni de mise en projet ; le modèle s’inscrit dans une logique de réduction des risques. » [Buxant, 2018 : 126].
13 STATBEL, 2019. Risque de pauvreté ou d'exclusion sociale. Disponible à l'adresse : https://statbel.fgov.be/fr/themes/ menages/pauvrete-et-conditions-de-vie/risque-de-pauvrete-ou-dexclusion-sociale#news
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